Cannes 2016 – Critique : The Strangers de Na Hong-jin : voyage au cœur du mal coréen

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Sélectionné dans la catégorie hors compétition, le nouveau film très attendu de Na Hong-jin, Goksung, renommé The Strangers pour la sortie française, nous arrive enfin, cinq ans après la présentation de The Murderer dans la section Un Certain Regard de l’édition 2011 du Festival de Cannes.

En deux films, Na Hong-jin s’est imposé comme l’un des maîtres du thriller nihiliste, violent, sans compromis, où le spectateur est absorbé aux côtés du personnage principal dans un cauchemar d’une noirceur absolue, qui semble ne jamais se terminer. Avec ce troisième long-métrage, le réalisateur coréen nous plonge au cœur d’un petit village de montagne, frappé par une vague de meurtres sanglants et inexplicables. Jong-gu, un policier père de famille un peu lâche, symbole d’une police désorganisée et complètement dépassée par les évènements, commence à soupçonner un ermite japonais, vivant seul dans sa cabane au milieu de la forêt.

A la manière de Memories of Murder, grand polar coréen réalisé par Bong Joon-ho, auquel on pense forcément, The Strangers voyage au départ entre l’outrance burlesque habituelle de ce genre de productions, s’attardant sur ces hommes de loi qui semblent ne jamais avancer, et l’immersion macabre dans une affaire de plus en plus mystérieuse, où s’accumulent découvertes sinistres et rumeurs farfelues. Mais très vite, Na Hong-jin prend une toute autre direction, n’hésitant pas à perdre son spectateur avec des visions fantastiques dont on ne sait si elles sont réelles ou fantasmées. Le véritable cauchemar peut commencer.

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Comme sur ses précédents longs-métrages, Na Hong-jin choisit un antihéros comme personnage principal. Incarné par Kwak Do-won, tel un prolongement physique de Song Kang-ho dans Memories of Murder, Jong-gu ne se sent pas plus concerné que ça par les évènements jusqu’au jour où sa famille est directement menacée par la malédiction qui touche les habitants. Jong-gu devient le protagoniste central du cauchemar, et comme lui, nous spectateurs, ressentons une impuissance totale devant ce qui nous est montré. Ce village entouré de montagnes, balayé par les orages, replié sur lui-même, a tout du piège dont on ne peut se sortir, jusqu’à sombrer dans la folie.

The Strangers est un film fou, qui ne s’arrête jamais, qui tente beaucoup, se rate parfois, mais qui n’a jamais peur d’en faire trop, ce qui offre des moments de pur cinéma, à l’image de cette séquence de rite chamanique absolument démentielle. Na Hong-jin va au bout de son idée sans se poser de questions sur le caractère possiblement grotesque d’une telle histoire. Et c’est justement pour cette raison que son film est un immense choc et une réussite à tous les niveaux. Pendant plus de 2h30, le cinéaste compose un crescendo émotionnel dans l’horreur absolue, une symphonie du mal qui nous prend à la gorge pour ne plus nous lâcher jusqu’au dernier plan.

Complexe, difficile à appréhender la première fois, le nouveau film de Na Hong-jin emporte tout sur son passage et témoigne de la force dévastatrice de son cinéma. Il faudra sans doute plusieurs visionnages afin d’en comprendre tous les tenants et les aboutissants.