Cannes 2016 – Critique : Mademoiselle de Park Chan-wook : jeu de dupe érotique

3

La présentation en compétition du nouveau film de Park Chan-wook, Mademoiselle, était l’un des évènements de l’édition 2016 du Festival de Cannes. Pour son retour après une escapade américaine peu glorieuse, le cinéaste coréen décide d’adapter le roman Fingersmiths de Sarah Waters, dont il reprend les principales grandes lignes en resituant l’action dans les années 30 en Corée du Sud lorsqu’elle était sous occupation japonaise.

La transposition d’un pays et d’une période à l’autre pourrait donner une œuvre complètement différente, mais elle ne l’est finalement pas tant que ça, puisque Park Chan-wook parvient à combiner habilement des choix esthétiques et des orientations thématiques qui tiennent autant du XIXème siècle que du  XXème siècle. On part donc sur la même base, avec une jeune femme, Sookee, engagée par Hideko, une riche japonaise perturbée et renfermée sur elle-même, vivant chez son oncle, un aristocrate énigmatique et inquiétant, qui exerce son autorité avec un peu trop d’insistance pour que ça paraisse normal. Mais la réelle mission de Sookee est d’amener Hideko dans les bras d’un escroc, pour ensuite la piéger et lui voler son argent.

Ce point de départ n’est que la surface d’un véritable de jeu de dupe masquant les secrets les plus sombres de chaque personnage. Mademoiselle est divisée en trois parties, chaque partie redistribuant les cartes en dévoilant une nouvelle facette de l’un des personnages. Park Chan-wook utilise le principe de l’alternance de point de vue pour donner un sens complètement nouveau à une scène déjà vue auparavant. Ce procédé n’a rien de foncièrement original mais il est ici utilisé avec intelligence, notamment au niveau du choix des scènes et de la gestion des ellipses dans les différentes parties.

thumb_1611_film_film_big

Ces réflexions structurelles amènent le spectateur à vouloir explorer de fond en comble cet immense manoir pour en percer tous les mystères. Park Chan-wook s’en donne à cœur joie pour mélanger les influences picturales et esthétiques au sein d’un même décor, lui conférant une allure énigmatique et indéfinissable. Que ce soit les styles architecturaux, les costumes, les objets… tout est fait pour installer une ambiance étrange et incertaine qui s’accorde parfaitement avec le caractère vénéneux et sensuel du récit. Le cinéaste coréen prouve encore une fois qu’il est un créateur d’images formidable. Son film est d’une beauté saisissante. Sa caméra virevolte, caresse, transperce, faisant grimper la tension, sexuelle ou non, à son maximum.

Mais alors, pourquoi Mademoiselle ne convainc pas totalement ? Il faut bien le dire, aussi virtuose qu’il soit, Park Chan-wook est un peu trop sûr de ses effets de scénario, et peine finalement à nous surprendre comme il l’aurait voulu. Quand on connait un tant soit peu son cinéma, difficile de ne pas comprendre où il veut en venir bien avant les fameuses révélations qui redéfinissent le rapport de force entre les personnages. On sent le réalisateur sûr de lui, sûr de sa maîtrise de l’art cinématographique, mais il manque ce petit grain de folie capable d’amener cette mécanique un peu trop parfaite vers autre chose qu’un trip érotique bien emballé. L’impression finale est donc mitigée, même si on apprécie quand même de voir de grands acteurs comme Kim Min-hee, Cho Jin-woong et Ha Jung-woo, ainsi que la petite nouvelle Kim Tae-ri, s’adonner à ce jeu de dupe avec assez de talent pour retenir l’attention.