Critique Super Express 109 de Junya Sato

L’histoire : 1 500 passagers viennent d’embarquer à bord du train à grande vitesse « Shinkansen » reliant Tokyo à Hakata, dans l’ouest du Japon. Peu après son départ, le directeur de la sécurité ferroviaire reçoit l’appel d’un homme déclarant avoir placé une bombe à son bord. Celle-ci explosera si la vitesse du train descend en dessous de 80 km/h. Le compte à rebours est lancé : toutes les forces du pays se mobilisent pour rechercher le groupe de terroristes et payer la rançon exigée de 5 millions de dollars……

Carlotta vient de sortir un petit bijou du cinéma catastrophe japonais, Super Express 109, réalisé par Junya Sato en 1975.

 

Réponse japonaise à la Tour infernale et autres films catastrophes hollywoodiens, très à la mode au milieu des années 70. En toute évidence, le résumé vous rappelle quelque chose, un certain Speed réalisé par Jan de Bont en 1994 avec Keanu Reeves et Sandra Bullock.

En effet, Super Express 109 sera remaké par Hollywood et remettra le film catastophe d’action au goût du jour 20 ans après (Twister, Volcano, Daylight, etc.). Bien que servant de base à la relecture américaine, Super express 109 ne nous raconte pas finalement la même histoire. Évidemment le plot de base, ne pas faire ralentir le train (un bus dans l’autre version) en dessous de 80 km/h au risque de le faire exploser est le même, mais le film japonais va lui se construire autour d’un drame social et économique, voir politique bien ancré dans les années 70, et il sera bien moins manichéen que sa version « Bus » des années 90.

Ici les personnages principaux ne sont pas les enquêteurs ou sauveurs du train, mais bien les poseurs de bombe, et tout l’intérêt du film réside dans leurs histoires et pourquoi ils ont agi de la sorte. Plus le film avance, alors que la tension s’installe et que l’urgence de sauver les passagers devient palpable, Junya Sato va petit à petit recentrer le métrage sur le parcours des poseurs de bombe. Grâce à des flash back, ils vont prendre de l’épaisseur, s’humaniser, passer d’horribles monstres prêts à tuer 1500 personnes à des gens paumés, marginalisés par la société, qui avaient « juste » des rêves. Le long-métrage va alors basculer d’un film catastrophe à un drame social, on est plus proche de Ken Loach que de Speed finalement. Junya Sato dépeint avec justesse 2 Japon, celui du train, le fameux Shinkansen symbole encore aujourd’hui du Japon technologique, flamboyant et moderne, avec à son bord une horde de salarymen conquérants, mais aussi des rockeurs prétentieux, des hommes prêts à bousculer des femmes pour passer un coup de fil, etc. Et le second japon étant représenté par les poseurs de bombe, qui font partis du prolétariat, des marginaux rejetés par la société, par exemple Hiroshi, sans emploi, affamé, vend son sang pour quelques yens…

C’est là tout l’intérêt du film, c’est pour cet aspect social et sociologique du Japon des années 70 que le film mérite d’être encore vu ou découvert. En effet, les scènes d’action restent spectaculaires, mais ne tiennent pas la course avec son successeur « Speed » où l’adrénaline ne redescend quasiment jamais. Dans Super express 109, 4 trames s’entremêlent, les poseurs de bombes, les enquêteurs, les conducteurs du shinkansen, et la cellule de crise de la compagnie de train. Finalement, les scènes d’actions dans le train sont minoritaires sur les 2h30 du film. À souligner le travail des maquettes qui restent impressionnants même 50 ans après, et que nous avons droit à des plans aériens magnifiques qu’on se demande comment ils ont pu faire sans drones.

Mais oui, Super express 109 vaut surtout pour son regard sur le Japon des années 70 alors en plein essor économique, mais qui va tout de même subir des mouvements de protestations : étudiants, politiques, et même terroristes (l’armée rouge japonaise qui détourna un Boeing à Tokyo en 70), et laisser sur le carreau ceux qui n’arriveront pas à prendre le train de l’économie en marche. Est-ce un hasard que le groupe mette une bombe dans un train de marchandises à Yubari ? Pour rappel, ville minière d’Hokkaido qui au fort de son exploitation a connu développement rapide et une population atteignant les 110  000 personnes, puis à la fermeture des mines dans les années 70, la ville dépérit et fût comme abandonné, elle ne compte aujourd’hui que 9000 âmes avec une dette colossale. Même si cela tient du hasard, la critique sociale et le contexte du film sont la valeur ajoutée de Super Express 109, car il ne s’agit pas seulement d’un « film compte à rebours », mais bien aussi d’une photographie d’une époque charnière du Japon, à la fois conquérante économiquement, mais comme toute société capitaliste avec ses perdants.

Concernant le casting, nous avons deux grosses stars japonaises, Ken Takakura et Sonny Chiba, seulement ils ne seront jamais l’un face à l’autre dans le film, le 1er jouant le « chef » des poseurs de bombe, le second interprétant le conducteur du train. Sonny Chiba parvient à montrer le stress et la tension galopante dans sa cabine de conducteur, cela reste un rôle à contre emploi pour le roi des cascades. Quant à Ken Takakura, que dire si ce n’est qu’il a la classe incarnée, et qu’il réussit à humaniser complétement son personnage à la base monstrueux.

Carlotta sort 3 éditions de Super express 109, l’une Dvd, l’autre Bluray, et enfin une édition prestige avec Bluray/Dvd, affiche du film, un fac-similé d’un journal de cinéma japonais, et 9 cartes. Également la version française du film qui a été coupé à la hache à l’époque, en effet Super express a eu droit à une sortie en salles ici en 76, le film passant d’une durée de 152 min à 100 en vf… Aussi, nous avons droit à une interview de Junya Sato sur la genèse du film et une autre de  sur l’analyse des genres du film.

 

En conclusion : Super Express 109 vaut le détour, d’abord par curiosité, car il a inspiré Runaway train et Speed, mais aussi pour ses qualités intrinsèques car finalement on ne retrouvera pas les mêmes sensations que Speed. L’intérêt réside dans le mélange des genres, à la fois film catastrophe, film d’enquête, mais surtout drame social, portraitiste du Japon des années 70. C’est rare d’avoir un film de divertissement qui réussit le grand écart d’avoir un propos, une critique sociale tout en restant spectaculaire. On vous recommande chaudement de prendre place dans ce Super express 109, disponible chez Carlotta.

 

3.5