Critique : Dernier caprice de Yasujiro Ozu

Kyoto dans les années 50. Manbei, le propriétaire d’une distillerie de saké, vit avec ses trois filles. L’aînée, Akiko, veuve depuis six ans, préfère élever seule son fils plutôt que de se remarier ; la seconde, Fumiko, est très irritée par la liaison qu’entretient son père, qui lui fait négliger ses affaires ; enfin, Noriko, la cadette, refuse de se marier avec le banquier que sa famille veut lui imposer. Ces soucis que connaît Manbei sont encore ravivés par ses problèmes de santé. Après un premier infarctus, il ne quitte plus son lit que pour rejoindre Tsune, sa maîtresse…

Carlotta vient de sortir un coffret bluray « Ozu en couleurs », comprenant les films : Fleur d’équinoxe, Bonjour, Herbes flottantes, Fin d’automne, Dernier caprice, et le goût du saké, pour les films en couleurs. Il contient également en noir et blanc : Histoires d’herbes flottantes, une auberge à Tokyo, Gosses de Tokyo, il était un père. Tous les films en couleurs ont bénéficié d’une restauration HD, 2k ou 4K. Herbes flottantes et Dernier caprices sont inédits et sont édités au choix dans ce magnifique coffret ou à l’unité.

Dernier caprice est réalisé en 1961, il sera l’avant-dernier film du maître japonais qui disparaîtra en 63. Dernier caprice semble faire écho au cinéaste vieillissant avec ce  personnage principal qui souhaite s’amuser coute que coute jusqu’au bout, sûrement que dans le cas de Ozu, on remplacera l’amusement par réaliser des films.

Comme toujours chez Ozu, c’est la peinture sociale du japon contemporain de l’époque qui est prépondérante, ici on est au début des années 60. Pêle-mêle le film aborde la vieillesse, les familles plus ou moins recomposées, la condition de la femme, l’occidentalisation, les entreprises familiales vouées à disparaître, le deuil, etc. c’est toute la force d’Ozu d’aborder  beaucoup de thèmes à travers une histoire simple d’un retraité polisson.

En effet, Manbei, redevient  un enfant fuyant au possible les responsabilités ou la bienséance qu’il devrait avoir pour son âge, il jouera au baseball avec son petit fils, ou bien à cache-cache. Il profitera de la partie de cache-cache pour s’échapper et rejoindre sa maitresse. Elle a par ailleurs une fille, qui semble-t-il serait une fille illégitime de Manbei, elle représente la jeunesse de l’époque, l’occidentalisation s’habillant en robe, ou en faisant le signe de croix, et surtout en ayant une multitude d’american boyfriends. Dans le Japon de 2020, les couples mixtes restent surprenants alors en 1960, Yuriko est avant-gardiste, ou plutôt on se dit qu’une base militaire américaine ne doit pas être loin de chez eux. Yuriko représente aussi le consumérisme, ne cessant de demander à Manbei une étole. Manbei, à l’instar de ses autres enfants, ne s’en soucie peu, seul sa maitresse semble l’intéressé réellement.

Sa fille ainée, Akiko (Setsuko Hara) ne souhaite pas se remarier, elle continue de penser à son défunt mari, bien qu’on lui présente des prétendants.  Plus le film avance, plus le sourire poli d’Akiko fait figure de masque, qui cache un sentiment de résignation. L’autre sœur Noriko, elle n’a pas plus de chance, son amoureux doit partir travailler à Hokkaido (de mémoire), autant dire qu’elle n’aura pas l’occasion de le voir et construire quelque chose ensemble. Le portrait de la famille démontre que chacun est finalement seul… à l’exception de Manbei qui lui, a sa maitresse.

Les plans sont tous statiques, merveilleusement cadrés, jouant avec les intérieurs japonais pour créer multiples cadre dans le cadre. Le traitement de la couleur apporte une chaleur indéniable, surtout dans les scènes du début, avec un Manbei enfantin. La maitrise formelle d’Ozu n’est plus à démontrer, ça semble simple mais c’est surtout simplement beau.

Il y aura un changement de ton dans le film car Ozu va traiter du deuil dans la dernière partie, les plans sont alors saisissants, la vue sur la cheminée du crématoire, les corbeaux, après les agissements enfantins de Manbei qui faisaient sourire le spectateur, on est plongés dans une réalité très froide.

En conclusion, Dernier caprice est un indispensable dans la filmographie d’Ozu, sûrement un film « testamentaire » comme il s’agit de son avant-dernier et qu’il traite de la mort.  Au-delà de cet aspect, le portrait de femme est sensible, touchant, et la photographie du Japon du début des années 60 fascinante. Encore un très beau travail d’édition de la part de Carlotta, que ce soit pour le coffret Ozu en couleurs ou pour l’édition simple, ce film est à voir quand on apprécie l’œuvre du maître.

4