Critique : #JeSuisLà d’Eric Lartigau

Voyage d'un français à Séoul

Réalisateur
Eric Lartigau
Année
2020
Pays
France / Corée du Sud
Durée
1h40
Notre score
4

Après l’énorme succès de La famille Bélier en France en 2014, Eric Lartigau revient cette année avec son dernier projet intitulé #JeSuisLà.

Alors déjà, ceux n’ayant pas eu vent du synopsis du film se demanderont peut-être pourquoi nous parlons d’un film français sur Ciné Asie ?

Tout simplement car l’histoire suit celle de Stéphane, un chef restaurateur français un peu perdu dans sa vie, qui dialogue avec une femme sud coréenne (jouée par nulle autre que la superbe Bae Doona) sur Instagram et va rapidement tomber amoureux d’elle. Sur un coup de tête il va donc décider de partir en Corée afin de la rencontrer…

Le film est donc découpé en trois actes, chacun avec une ambiance, un genre, des sujets plus particulièrement abordés, des particularités…

La première partie est tout simplement là pour planter le décor et comprendre le quotidien de notre protagoniste : un cinquantenaire divorcé qui ne vit quasi uniquement à travers son travail, assez proche de sa famille et en même temps tenu à l’écart des petits secrets de ses membres, et dont le seul échappatoire à sa routine devient ses conversations avec Soo, une artiste coréenne rencontrée sur Instagram. 

On voit ce semblant de romance prendre de plus en plus le pas sur sa vie, l’amenant à prendre des décisions assez radicales comme de changer tout l’intérieur de son restaurant, et le déconnectant par moments de la réalité. A ce moment je craignais encore que le propos sur les écrans (« plus tu es connecté virtuellement, moins tu l’es dans la vie… ») ne soit trop lourd et moralisateur, mais nous verrons comment cela sera plutôt subtilement contrebalancé par la suite.

Dans tous les cas, nous développons déjà une sympathie pour ce personnage que l’on sent perdu et dépassé par ce qui l’entoure malgré ses efforts pour suivre. L’ambiance assez chaleureuse est également permis par une mise en scène bien fluide et une photographie soignée.

Puis un jour, de manière plus ou moins impulsive, Stéphane décide de partir en Corée du Sud rencontrer Soo. Celle-ci lui propose de le retrouver à l’aéroport de Séoul, et c’est donc ici que se déroulera toute notre deuxième partie. Car Soo tarde quelques peu à arriver, et Stéphane décide tout de même de l’attendre… pendant 11 jours.

Cette partie peut être perçue comme un peu longue et redondante par le spectateur, mais personnellement c’est celle que je trouve le plus brillamment écrite. C’est un véritable exercice anthropologique qui se déroule devant nos yeux, avec une personne restant statique dans un lieu commun qui n’est d’ordinaire qu’un lieu de passage, où les gens sont pressés et ne s’arrêtent pas, un « non-lieu » comme les appelle l’anthropologue Marc Augé. 

On pourrait donc se dire que sans sortir de cet aéroport, Stéphane ne va pas découvrir grand chose de la Corée du Sud, mais bien au contraire. Si au début lui même notifie bien que personne ne le remarque, à force de rester là, d’observer ce qui l’entoure et ce à quoi les autres ne prêtent pas forcément attention, c’est là qu’il finit par avoir le plus d’échanges. On le voit donc être confronté à cette culture très différente de la sienne, en apprendre certains codes, échanger du savoir de sa propre culture (symbolique très bien représentée par la scène de cuisine)… 

Et c’est ici que la thématique des téléphones portables est superbement détaillée. Car si nous voyons évidemment les proportions démesurées que cela peut prendre, le voyeurisme et l’invasion de la vie privée que cela peut entraîner, le film ne présente pas les réseaux sociaux comme le grand mal du siècle non plus, puisqu’il nous montre qu’il peuvent aussi être à l’origine d’interaction humaines, ce qui va sauver Stéphane dans ces moments de grande solitude.

Finalement le dernier acte conclut sur un semi happy ending, puisque nous n’avons pas une fin parfaite de comédie romantique, mais celle-ci donne quand même le sourire en revenant sur l’importance des liens familiaux et surtout de la paternité. Stéphane reconnaît qu’il a fait « n’importe quoi » pour des raisons quelques peu inexplicables, mais nous sentons tout de même que cela lui a apporté quelque chose de positif et une certaine ouverture.

Toute cette petite histoire est apportée avec beaucoup de légèreté et un humour bien dosée, et portée surtout par Alain Chabat qui incarne à la perfection cet homme un peu perdu, qui peut se montrer à la fois complètement à côté de la plaque à la fois très attentionné. 

Bae Doona est également très juste dans son rôle, bien qu’on ne la voit finalement pas énormément à l’écran.

Pour conclure je dirais que #Jesuislà est à voir comme un feel-good movie qui aborde avec un regard intelligent le progrès, le mélange des cultures et les angoisses d’une personne qui vieillit.

Ses séquences à travers Séoul (car non, Stéphane ne reste pas dans l’aéroport jusqu’à la fin du film) vous donneront envie d’aller découvrir la Corée du Sud et ses fameux cerisiers…

4