Critique : True Mothers de Naomi Kawase

©2020 «Asa ga Kuru» FILM PARTNERS / KINOSHITA, KUMIE

Naomi Kawase est l’un de ces noms du cinéma japonais qui ne laisse plus insensible. Son univers est bien marqué, porté sur les émotions humaines, les petits détails de la vie et les difficultés qui se posent à chacun. En s’intéressant avec True Mothers au thème de l’adoption, la réalisatrice parle de ces gens qui survivent, s’unissent, et se déchirent autour d’un événement qui lie parfois deux personnes pour l’éternité. Le film sort en salles le 28 juillet.

« Satoko et son mari sont liés pour toujours à Hikari, la jeune fille de 14 ans qui a donné naissance à Asato, leur fils adoptif. Aujourd’hui, Asato a 6 ans et la famille vit heureuse à Tokyo. Mais Hikari souhaite reprendre contact avec la famille, elle va alors provoquer une rencontre… » (Haut et court)

Tout commence lorsque Satoko et son mari découvrent qu’ils ne peuvent pas avoir d’enfants. Le déchirement émotionnel est immense pour un couple qui ne souhaitait que ça, avant qu’au hasard, ils tombent sur un reportage télévisé leur parlant d’une association qui met en relation des femmes enceintes et des couples, afin que ces derniers puissent adopter. Ces femmes sont pour la plupart de milieux pauvres, sans avoir les moyens d’élever leur futur bébé, ou dans d’autres cas, il s’agit d’adolescentes comme Hikari. Celle-ci vit un moment terrifiant, tombée enceinte au lycée, poussée par ses parents à abandonner son bébé, malgré sa peine et sa volonté de le garder. Une manière pour Naomi Kawase d’évoquer la violence des rapports sociaux et du poids qui pèse sur les femmes : Satoko prend de l’âge, et tout le monde attend d’elle qu’elle ait enfin un enfant. En face, Hikari est une adolescente, et elle verrait son avenir et sa réputation détruits si quelqu’un apprenait qu’elle est enceinte, poussant ses parents à l’obliger à abandonner l’enfant. Dans les deux cas, ces deux femmes qui ont pourtant envie d’être mères, il y a une telle pression, une telle volonté de contrôle par la société, qu’elles finissent par craquer. Le film est bouleversant, en posant ce double regard sur l’adoption, entre la joie éprouvée par des parents qui voient là un moyen de fonder une famille, et de l’autre des femmes souvent précaires qui ne peuvent faire autrement que de passer par un abandon, dans un pays où l’avortement est au mieux limité, au pire franchement tabou.

©2020 «Asa ga Kuru» FILM PARTNERS / KINOSHITA, KUMIE

Naomi Kawase joue avec le sujet avec beaucoup de finesse, à tel point que le film prend une dimension impressionnante dans son dernier acte, après une montée en puissance qui a pourtant parfois l’air un peu longuette. Mais difficile de lui en vouloir, car la cinéaste raconte l’âme humaine comme personne, avec ses contradictions, son amour, sa haine, ses peurs et ses regrets. Tout devient évidemment plus facile lorsque l’on est assisté de grands talents, comme l’est la cinéaste avec Hiromi Nagasaku et Aju Makita, celles qui jouent les deux « mères » avec une grandeur qui les honore. Elles sont juste, sincères, dans un film qui met l’emphase sur la simplicité et la pureté des rapports sociaux. Aju Makita notamment, dans le rôle de l’adolescente, est saisissante, tandis que la détresse exprimée par Hiromi Nagasaku est formidable d’authenticité. Deux superbes d’actrices qui permettent à Naomi Kawase de donner à True Mothers quelque chose de spécial.

Dans un ton familier pour la cinéaste, True Mothers exprime des sentiments contraires, des peines et des joies, des déchirements et des retrouvailles, dans un monde où les femmes subissent des pressions terribles autour de la grossesse et de l’éducation. L’adoption y est racontée avec une douceur qui s’oppose à la violence de l’entourage. C’est toujours malin et souvent très beau, une belle réussite pour Naomi Kawase malgré quelques imperfections que l’on a bien du mal à lui reprocher.

True Mothers
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