Critique : Silence de Masahiro Shinoda

L’histoire : Au XVIIe siècle, deux prêtres jésuites portugais débarquent sur les côtes japonaises. Leur but est d’aider à réimplanter le christianisme dans ce pays où la religion catholique est interdite et ses fidèles persécutés. En parallèle, les deux missionnaires vont également tenter de découvrir la vérité sur leur mentor, le père Ferreira, mystérieusement disparu après sa capture par les autorités cinq ans plus tôt…

Silence de Masahiro Shinoda bénéficie d’une édition Bluray/Dvd pour la 1ere fois en France chez Carlotta.

Le film qui fut projeté à Cannes en compétition en 1972, trouve un regain d’intérêt suite à la nouvelle adaptation de Martin Scorsese sorti en 2016.

Adapté d’un roman de Shusaku Endo, auteur multirécompensé au Japon, qui eut la particularité de vivre en France et qui était chrétien. Shusaku Endo traite avec Silence d’une période de l’histoire du Japon où le christianisme fut proscrit et les croyants furent persécutés. Masahiro Shinoda qui adapta ce roman de Endo, lui vient de la nouvelle vague japonaise (Oshima, Tashihagara,…) et avait travaillé avec l’auteur Shuji Terayama. Le réalisateur s’essaye ici pour la première fois au film historique (Jidai geki), et réussit l’essai avec succès.

La grande force de Silence, c’est de saisir ce qu’on ne voit pas : la foi, la croyance en Dieu. Shinoda montre des hommes, dont la foi semble inébranlable et qui sont prêts à subir le martyr plutôt que de se renier. Leur Dieu ne se dévoile jamais, il reste silencieux, seul leur croyance est tangible mais pas l’objet du culte, d’où les dilemmes, pourquoi tant de sacrifices ? et si Dieu n’existait pas ?

De plus le contexte japonais où cette religion ‘étrangère’ fut introduite quelque temps auparavant prête à la réflexion de façon plus globale.

Shinoda décrit 3 camps : les fidèles japonais qui sont prêts à laisser leur vie pour le christianisme, les Jésuites qui sont persuadés du bien fondé de leur mission d’évangélisation, et les Japonais réfractaires et tortionnaires qui vont tenter d’étouffer cette foi. En effet, pourquoi une religion importée se devrait de transplanter celles historiques d’un pays ? Surtout derrière l’évangélisation, ne se cache-t-il pas en réalité l’idée d’acculturation et puis de colonisation ? En voyant l’exemple des Philippines qui fut une colonie espagnole jusqu’en 1899, on ne peut omettre que les puissances européennes voulaient évangéliser l’Asie dans le but d’asseoir leurs empires et leurs pouvoirs.

Ici dans la répression et la cruauté des Japonais qui veulent faire disparaître le christianisme, on peut percevoir la volonté avant tout de préserver leur culture, mais en aucun cas cela cautionne les actes barbares qu’ils perpétraient pour atteindre ce but. Finalement ils ont finalement réussi à préserver leurs religions en comparant à d’autres pays d’Asie ou à Macao qui est cité dans le film et qui fut administré par le Portugal pendant 400 ans jusqu’en 1999 avant de revenir sous drapeau chinois. A l’inverse quand l’empire japonais s’étendra et que celui-ci englobera par exemple la Corée et Taïwan, les populations se verront converties au shintoïsme d’état pour procéder à l’assimilation culturelle.


Revenons au film, Silence est un film d’atmosphère, voire sensoriel, traversé par le hors champs, mais un hors champs qui représente le spirituel. Tout se passe dans la tête et le cœur des hommes, dans ce qui fait que l’Homme est une espèce à part, capable de se créer des histoires depuis la nuit des temps et d’y croire. Shinoda nous fait sentir la présence de la spiritualité à travers la nature, les plans sur la mer, du soleil (le Dieu soleil, le fameux Dainichi ?), de la végétation, le Japon est une terre shinto et bouddhiste dont la nature est l’élément primordial. Shinoda montre un plan de falaise sur lequel Rodrigues se tient, donnant l’impression qu’il se trouve dans une cathédrale en plein air tant « l’architecture naturelle » de ce lieu est fascinante.

Au-delà de la nature, le réceptacle de la croyance est bien évidemment l’Homme, et Shinoda va parsemer son film de gros plans sur les visages, essentiellement celui de Rodrigues, David Lampson possède en effet un regard perçant. Sa prestation semble habitée, c’est plutôt son japonais avec un accent anglais (alors qu’il est censé être portugais) qui peut surprendre.

Le visage de Shima Iwashita aussi marquera le film, avec son regard halluciné, particulièrement la scène où son compagnon est torturé, et qu’elle refuse l’apostasie sous ses ordres, une des scènes les plus fortes du film. La violence parsème le film, les scènes de tortures nous rappellent bien qu’on se trouve au Japon féodale, c’est-à-dire le Moyen Âge chez nous, et que la pratique de la torture est commune.

La mise en scène de Shinoda est maîtrisée de bout en bout, basée beaucoup sur des plans fixes, avec des cadres divisés, sur l’opposition des petits espaces (cavernes, cellules de prisons, …) et espaces grandioses (la mer, plans du ciel, etc.). Cette version restaurée rend hommage à la photographie du film, quel plaisir de découvrir Silence dans ces conditions. Mention spéciale pour la musique de Toru Takemitsu démarrant sur un morceau classique liturgique qui est entrecoupé par des dissonances expérimentales, créant une atmosphère des plus inquiétantes qui collent parfaitement au film.

En conclusion, pas besoin d’être croyant pour vivre une expérience avec Silence, on ne peut pas rester insensible à ce film, qui parle du spirituel, de la foi, finalement de l’intime et d’humanité, de ce qui fait que nous sommes une espèce capable du meilleur et du pire à la fois, avec sa conscience, ses contradictions, son désir d’imaginer et de se créer un autre monde. On se pose des questions tout du long, l’introspection fonctionne complétement, Shinoda réussit à allier intellect et émotion, thématique historique et intime, à travers un voyage dans le japon féodal. Silence reste moderne dans sa narration et dans ses thématiques, c’est pour ça sans doute que Martin Scorsese l’a adapté récemment. Silence est à découvrir chez Carlotta en Bluray et dvd, ne passez pas à côté de ce classique japonais.

 

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