Critique : Diner de Mika Ninagawa

Un objet cinématographique aussi fascinant que déconcertant.

Date de sortie
05/07/2019
Réalisatrice
Mika Ninagawa
Notre score
3

Troisième film de Mika Ninagawa, Diner est le dernier long-métrage en date de la photographe japonaise qui s’est essayée à la réalisation au cinéma pour la première fois en 2007 avec Sakuran. Diffusé à l’Etrange Festival 2019, le film est une adaptation d’un livre de Yumeaki Hirayama qui nous emmène dans un curieux restaurant pour tueurs à gage.

La jeune Kanako Oba (jouée par Tina Tamashiro, vue dans Sadako vs. Kayako et American Horror Story: Apocalypse) cherche à gagner beaucoup d’argent en peu de temps pour réaliser son rêve : partir au Mexique. Elle se retrouve mêlée à des criminels et finit comme serveuse dans un curieux restaurant tenu par Bombero (Tatsuya Fujiwara, vu dans Death Note), un chef exigeant qui ne sert que des tueurs à gage.

Diner fascine et intrigue. Avec sa galerie de personnages hauts en couleur, ses tueurs à gages improbables et son « restaurant » inspiré des diners américains, dans le style de Mika Ninagawa, le film pose très rapidement les bases d’une balade psychédélique dans l’enfer de criminels tout droit sortis de l’imagination un peu tordue de ses auteurs. L’héroïne, la bien nommée Kanako Oba (qui se lit comme une « jeune fille stupide ») incarnée par Tina Tamashiro se retrouve là-dedans un peu malgré elle, prête à tout pour gagner l’argent qui l’enverra vers une ville qui la fait rêver. Déprimée par la routine et son quotidien morne, elle finit aux côtés d’un chef exigeant, un bourreau qui lui montre dès le début qu’elle finira « accrochée au mur » si elle ne l’écoute pas. Ce mur, c’est des photos des anciennes serveuses qui ont toutes fini par mourir, soit par la main du chef exaspéré ou parce qu’elles ont fait un pas de travers face à un client-tueur à gage. Ambiance.

Dans une quête de liberté, celle de l’âme, l’héroïne voit là l’occasion de s’émanciper et d’échapper à une vie monotone où elle passe ses journées à distribuer des tracts à des salary men qui n’en ont pas grand chose à faire. Elle rêve d’un village mexicain qu’elle a vue en photo, avec des maisons colorées qui symbolisent cette liberté à laquelle elle aspire, en pleine opposition avec le gris un peu déprimant avec lequel la réalisatrice représente Tokyo. Après un début assez lent, le film prend son envol dès lors qu’on arrive au « diner », et se lance dans un rythme effréné jusqu’à son (très explosif) final. Peut-être « trop » rythmé, son ambiance psychédélique à la limite de l’hystérie nous en fait voir (littéralement) de toutes les couleurs dans un grand n’importe quoi de violence, où les personnages se mettent joyeusement des coups de couteau alors qu’un tueur à gages de petite taille a décidé de partir en croisade. Le ton du film verse souvent dans la dérision puisqu’il désamorce l’extrême violence de ses protagonistes grâce à son univers burlesque et complètement improbable. Et c’est pas un mal, car en prenant de la hauteur sur l’action, la réalisatrice s’en amuse et fait la part belle à l’esthétique plutôt qu’au fond de son histoire. Une histoire qui tourne d’ailleurs de manière amusante autour du « plat parfait » que semble rechercher le chef du restaurant, un, plat grossier dont les couleurs semblent tout droit venues de la décoration de son restaurant.

On trouve d’ailleurs dans cette décoration toute l’oeuvre de Mika Ninagawa : des couleurs saturées et un goût prononcé pour le rouge, le rose et le violet. Diner est à l’image de ses précédents films, avec une esthétique bien identifiable qui rappelle ses origines de photographe. L’image est soignée, elle fourmille de détailles et nous renvoie très largement à son travail sur Sakuran dont l’univers était certes différent, mais on y retrouvait ce même goût pour les couleurs.  C’est un exercice de style pour la réalisatrice qui accorde une place prépondérante à l’image dans ses films -et c’est loin d’être un mal-, quitte à offrir un film finalement assez difficile à aborder tant il se disperse dans des genres différents (le burlesque, le drame, le thriller) sans jamais parvenir à identifier ses intentions. La réalisatrice peine à pleinement convaincre, mais elle a le mérite d’offrir une expérience cinématographique curieuse sans être désagréable, loin de là. Elle peut d’ailleurs compter sur Tina Tamashiro qui est excellente dans son rôle d’une jeune fille paumée et influençable, tandis que les seconds rôles comme Anna Tsuchiya (avec qui elle travaillait justement sur Sakuran) en femme fatale ou Tatsuya Fujiwara en chef tyrannique viennent mettre leur grain de sel et leur auto-dérision pour participer à ce grand n’importe quoi. 

Ce serait mentir que de dire que l’on a été pleinement convaincu par Diner. Déconcertant, parfois éprouvant avec son rythme effréné qui laisse peu de temps pour respirer et digérer son univers très coloré, le film de Mika Ninagawa est assurément une expérience particulière qui, l’espace de deux heures, nous emmène dans un monde inattendu où la logique des choses est mise à la porte pour laisser ses personnages se mettre des baffes sans trop de raisons jusqu’à l’explosion finale. On n’est pas sûr d’avoir encore tout digéré, mais c’était une balade intéressante.

Diner
Note des lecteurs3 Notes
3