Critique : Shadow de Zhang Yimou

Une bataille politique sublimée par la finesse de ses couleurs.

Date de sortie
30/09/2018
Réalisateur
Zhang Yimou
Notre score
4.5

Après une avant-première au Festival du Cinéma Chinois en France (FCCF), Shadow de Zhang Yimou connaissait sa première en compétition à l’Étrange Festival 2019. L’occasion de découvrir le nouveau film d’un populaire réalisateur qui reste pourtant sur l’échec artistique de La Grande Muraille.

Le royaume de Pei a perdu il y a bien longtemps la ville de Jing, tombée dans les mains du royaume de Yang avec lequel ils ont finit par conclure une alliance. Mais, convaincu qu’il doit reconquérir la ville, un commandant (joué par Deng Chao) fomente une insurrection avec sa femme (interprétée par Sun Li) et une doublure, qu’il appelle son « ombre », pour renverser l’autorité de son Seigneur.

Après ses errements hollywoodiens et l’exécrable La Grande Muraille, Zhang Yimou renoue ici avec un cinéma plus sincère, plus proche de ses grands succès sans perdre le côté accessible de sa filmographie. On reste dans le grand spectacle, la beauté des images et des chorégraphies et le drame qui entoure l’histoire chinoise des Trois Royaumes qu’il adapte ici en partie. On est dans une histoire politique, de stratégie militaire et de conquêtes, un monde où les villes sont disputées par des seigneurs avides de pouvoir. Pourtant, l’action se place du côté d’un seigneur assez peu ambitieux, qui rêve d’une paix éternelle tout en se faisant mousser auprès de ses conseillers pour la beauté de ses calligraphies qu’il accroche un peu partout. Un Seigneur égocentrique qui tranche avec la tradition qu’incarne le commandant, une tradition guerrière où la stratégie et l’honneur prévalent sur le reste. Et l’honneur du royaume de Pei est mis à mal : en signant une alliance avec le royaume de Yang malgré la perte de la ville de Jing, c’est l’honneur des Pei qui est bafoué. Alors le commandant propose un duel au Seigneur Yang pour mettre un terme à cette histoire, et c’est là que tout va se jouer. Car le film raconte la manière avec laquelle le commandant incarné par un incroyable Deng Chao, qui joue deux rôles (le commandant et son « ombre », un sosie qui le remplace alors qu’il est affaibli), va imaginer une véritable stratégie pour reconquérir Jing et passer outre les désirs de son Seigneur. Un complot politique absolument passionnant que nous sert Zhang Yimou, en prenant soin d’offrir à ses personnages une épaisseur qui sied parfaitement au ton dramatique du film. Le commandant est évidemment un personnage ambigu, qui cherche à restaurer son honneur mais qui se perd dans une bataille qu’il n’a aucune chance de gagner, tandis qu’il voit sa femme s’éloigner peu à peu vers son ombre. Une « ombre » qui incarne le commandant et se fait passer pour lui, un jeune homme dont le passé trouble lui vaut d’être aux ordres d’un commandant de guerre. Tandis que la femme incarnée par Sun Li apparaît comme prisonnière de ce monde : formidable guerrière, elle n’en reste pas moins celle qui fait le lien entre le Seigneur et son mari en s’assurant que la diplomatie reste de mise.

Il y a une sorte de mélancolie qui se dégage du film alors que tout repose sur l’équilibre entre le yin et le yang, symbolisé à l’image par de nombreuses fresques mais aussi par un choix du côté de la colorimétrie, dont on parlera plus tard dans cette critique. Un équilibre fragile qu’on pourrait aussi bien appliquer à cette opposition entre les deux royaumes, qui se font face passivement et pourtant se montrent fondamentalement agressifs, chaque action étant lourde de conséquence. L’intensité de cette opposition se retrouve dans la gestion du rythme par Zhang Yimou, d’abord au travers des échanges politiques, puis dans une action qui va crescendo jusqu’à un final particulièrement dramatique. Le film raconte autant la reconquête que la chute d’un royaume, la réussite et l’échec de quelques uns de ses personnages. Tout est très bien maîtrisé dans ce film, le réalisateur chinois parvient à retrouver ses qualités et ce qui lui a valu tant de succès. 

Mais ce qui frappe avant tout c’est l’image. Dans un faux noir et blanc, le film nous emmène dans un monde quasiment monochrome où la photographie renvoie directement à la calligraphie, ainsi qu’au yin et au yang, avec des décors et costumes qui naviguent toujours entre le blanc et le noir, dans des tons gris de toute beauté. C’est un véritable plaisir à regarder, une réussite visuelle qui se révèle particulièrement impressionnante tant la maîtrise est de mise. D’autant plus que cette image presque monochrome permet d’accentuer la violence des combats, avec le sang rouge et les blessures qui ressortent particulièrement à l’écran, tandis qu’il se plaît à insister sur la grâce et la finesse des décors. La cour du Seigneur est somptueuse, comme les costumes et décors, tout s’accorde pour donner une vraie cohérence visuelle. Zhang Yimou rappelle d’ailleurs à cette occasion ses meilleures œuvres, avec une mise en scène toujours somptueuse des affrontements, comme cette technique au parapluie qui est répétée à l’infini dans l’espoir de pouvoir battre le Seigneur Yang. La grâce est de mise, en complète opposition avec la violence et la « lourdeur » du Seigneur en question, et cela donne un spectacle impressionnant où le héros joue avec la pluie. Le choix d’une colorimétrie plutôt terne profite d’ailleurs beaucoup à ces séquences puisque les gouttes de pluie se fondent parfaitement dans le sombre des costumes et des armes pour offrir des combats fluides et captivants. Sans faire preuve d’une grande originalité sur son histoire, Shadow s’en tire de la meilleure des manières grâce à l’élégance de ses images.

On était évidemment impatients et curieux de découvrir cette nouvelle œuvre du réalisateur chinois, et l’attente a été récompensée par un film sincère qui nous plonge dans un monde sublimé par son faux noir et blanc. Séduisant, gracieux, le film est un plaisir pour les yeux, sans manquer de nous livrer des personnages aussi fins qu’inattendus. Quelques scènes restent en mémoire grâce à de très bonnes idées de mise en scène, et si on peut pester contre les multiples rebondissements dans le dernier tiers qui finissent par provoquer des sourires devant une situation devenue improbable, Shadow est assurément un très bon film qui nous réconcilie sans mal avec Zhang Yimou.

Shadow
Note des lecteurs5 Notes
4.5