Critique : Asako I&II de Hamaguchi Ryusuke

Frileux à l’idée de voir le super long Senses en 3 séances qui m’auraient coûté un bras, ma curiosité pour un réalisateur qui osait ce film de 5 heures en 5 parties n’en était pas moins grande. J’ai donc été agréablement surpris de voir arriver si vite son film suivant, Asako I&II.

On vous a déjà abreuvé d’un petit article d’actualité bien fourni, détaillant le contexte, que de toute façon je ne connaissais pas. Pour ces raisons, cette critique sera focalisée sur ma seule expérience de visionnage.

Vierge donc de toute information — exception faite de deux ou trois dithyrambiques tweets qui m’étaient passés sous le nez — je crus, jusqu’au moment où le noir est tombé dans la salle, que j’allais devoir encaisser un pénible drame romantique auteuriste, genre devant lequel mon sommeil menace plus grandement encore que le rhume pour un chauve nu sous une gouttière par une pluie battante. Eh bien figurez-vous que je n’ai pas cillé un seul instant.

L’histoire, donc (et grossièrement parce que : allez le voir, sapristi), se base sur un personnage féminin peu expressif, tombant amoureuse deux fois du même garçon, en fait deux sosies identiques, que sont un baroudeur insondable et imprévisible d’une part, et un salaryman bien rangé mais aimable et franc d’autre part. Le premier, Baku, disparaissant sans explications deux ans avant qu’elle rencontre Ryôhei, la laissant seule malgré ses promesses…

Bien que le personnage conserve à notre égard une froide distance constante, on comprendra et partagera donc la confusion intérieure qui l’habite, au vu de sa situation amoureuse complexe et unique.

Le film joue la carte de l’observation polie, le personnage d’Asako subissant largement la plupart des situations, et ne se laissant jamais aller à l’émission de sentiments. L’actrice Karata Erika est d’ailleurs admirable dans son incarnation, tant elle transmet peu, mais laisse entendre beaucoup, sur ses questionnements profonds. Elle prend les événements comme ils viennent, non sans grand attachement à Ryôhei — celui avec lequel elle se lie le plus longtemps, très largement — mais laisse penser au spectateur ainsi qu’à son amie Haruyo (seule à connaître les deux hommes) penser qu’elle agit par dépit d’avoir perdu Baku.
Une femme plus caractérielle aurait sans doute pris avec plus de doutes les étranges signes karmiques que sont ces rencontres fortuites avec un mec bizarre puis son sosie. Avec la mystérieuse et indécise Asako, le déroulement du récit est en revanche pleinement cohérent, et c’est tout naturellement que nos questions se portent sur ses choix, même lorsqu’elle se fait discrète.

Je me rends compte que j’ai réussi à écrire cet assez balèze paragraphe uniquement sur le personnage d’Asako. Preuve, s’il en fallait une, que celle que j’aurais pu croire si fade sans une telle maîtrise d’écriture et d’interprétation, se révèle être sans forcer le centre absolu d’un film de deux heures. Voyons si mon propos se mesure alors que j’aborde la mise en scène (non).

C’était, vous l’avez compris, ma première rencontre avec Hamaguchi Ryûsuke. Sa mise en scène, en tout cas dans ce film, est parfaitement signifiante sans jamais taper dans l’œil. Elle ne verse ni dans les effets de style, aucun travelling virtuose ne cherchant à se montrer, ni dans l’excessive lenteur des romances auteuristes que j’évoquais plus haut, et sur lesquelles je ne devrais pas m’acharner (mais j’suis taquin). Elle agit, ça va presque de soi, de concert avec un montage et un sound-design tout aussi discrets et sensibles, où rien ne prétend se dresser au dessus de l’essentiel, mais où tout est extrêmement travaillé (ou alors issu d’un instinct pas croyable).

Il s’agit là d’une vraie force, et — si j’osais — d’une maturité dont peu de cinéastes font preuve.

Aucun plan ne m’a semblé en dire plus qu’un autre, mais strictement aucun ne manquait de sens. Ajoutez à ça le ratio de 1,66:1, qui non content d’avoir joué assez cruellement avec mes habitudes, est véritablement maîtrisé. Je n’imagine pas de format plus adapté à cette brillante histoire, ni trop intime, ni trop épique, à l’image donc de son judicieux cadrage doux-amer.
Enfin, aucune scène ne nous montre un personnage seul dans une pièce, interdisant une trop profonde introspection émotionnelle, et nous épargnant toute forme de pathos.

Heureusement, la rare bande originale du film vient balayer mes éloges avant que je ne puisse vraiment crier au chef-d’œuvre. C’est pas bien. Et le générique de fin tout en autotune, beuahh, quel gâchis. tofubeats en est responsable, je ne connais pas beaucoup son travail mais je le pense capable de bien mieux. Après, la musique se fait vraiment discrète, le réalisateur préférant manifestement un son « réaliste », que même le meilleur thème d’un compositeur traditionnel aurait desservi. Ouf.

Asako I&II de Hamaguchi Ryusuke
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4.5