Critique : Sympathy For Mister Vengeance de Park Chan-wook

Sympathy For Mister Vengeance de Park Chan-wook
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4.5

Premier volet du « triptyque de la vengeance » composé de l’excellent Old Boy et du non moins percutant Lady Vengeance du génie Coréen Park Chan-wook, Sympathy For Mr. Vengeance est une œuvre fondamentalement sombre et pessimiste qui narre avec un réalisme implacable le destin tragique de deux personnages antagonistes liés par un drame qui bouleversera leurs vies à jamais. Violent, cynique, puissant, formellement très abouti et sublimé par les jeux époustouflants de ses deux acteurs principaux, Sympathy For Mr. Vengeance est un film absolument incontournable dans le paysage cinématographique du Pays du Matin Calme.

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Ce qui frappe le spectateur dès les premières minutes de visionnage, c’est cette ambiance lourde, lente, oppressante et surtout silencieuse qui caractérise l’intégralité du film… Ryu (Shin Ha-kyun, JSA ; Thirst), le personnage que l’on suit dans la première partie de l’histoire, étant sourd et muet, le film se propose régulièrement de nous faire partager sa subjectivité insonorisée faite de sensations troubles et diffuses avec beaucoup de subtilité et un traitement particulier des éléments audiovisuels pour une immersion quasi-instantanée dans la « bulle » de ce personnage sur qui le destin s’acharne sans concession. Ainsi Sympathy For Mr. Vengeance est-il ponctué de longs plans à la photographie très soignée au sein desquels la tension a tout loisir de se déployer jusqu’à littéralement exploser lors du climax radicalement nihiliste et dérangeant au possible qui achève d’ériger ce « conte cruel de la jeunesse » en véritable œuvre d’auteur.

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Ce climat de tension permanente est entretenu par de nombreuses scènes-chocs filmées avec un réalisme acéré rendant compte du désespoir extrême contenu entre les lignes du scénario auquel Park Chan-wook aura consacré plus de cinq années de sa vie. Toute aussi haineuse que dramatique, la trame de Sympathy For Mr. Vengeance en appelle d’elle-même, presque par essence, à une représentation radicale et intense des faits tous plus abominables les uns que les autres qu’elle rapporte sans jamais verser dans la facilité du pathos. La crudité de ces images ultra-réalistes et d’une beauté esthétique remarquable demeure en réalité le principal corollaire de la dimension résolument satirique souhaitée par le film, et constitue pour le réalisateur un moyen très persuasif de mettre en scène à la fois la précarité de la vie quotidienne dans une Corée du Sud à l’époque en plein essor industriel mais aussi de manière plus générale la vacuité d’une telle existence essentiellement vouée à la souffrance et aux désillusions perpétuelles.

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Il demeure par ailleurs assez facile de déterminer, pour peu que l’on soit familier avec l’univers de Park Chan-wook,  les passages-clés où celui-ci exprime sans détours sa vision personnelle de la vie en société, qu’il semble considérer comme ni plus ni moins qu’un gigantesque non-sens, un simulacre grotesque et cruel à la fois réceptacle et pourvoyeur de ce qui caractérise ce « Mal du siècle ». Et pour cause : Sympathy For Mr. Vengeance contient en son sein une telle puissance dramatique, grâce à la force des ses images et à l’accumulation excessive de drames et de « coups du sort » toujours plus horribles et destructeurs, que le message de fond du film n’éprouve aucune difficulté à nous parvenir directement et frapper précisément là où ça fait mal. Sympathy peut d’ailleurs s’apparenter à une tragédie, dans le sens où la notion de fatalité, inhérente au genre littéraire en question, semble imprégner l’intégralité de son histoire.

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En effet, quoi qu’ils tentent, les personnages ne peuvent réchapper à leur destin, vécu comme immuable ; d’autant plus que le film s’acharne à vouloir annihiler le moindre espoir de dénouement heureux en ne cessant d’empiler les cadavres. Ainsi chaque élément qui constitue le métrage semble-t-il inéluctablement voué à périr dans les pires circonstances qui soient, comme si rien ne pouvait survivre à cette douloureuse existence marquée par la déchéance et l’omniprésence du vice. Cet avilissement physique et moral se trouve parfaitement retranscrit par le jeu de ses deux acteurs principaux, Shin Ha-kyun et Song Kang-ho (Memories Of Murder ; The Host ; Thirst), carrément bluffants dans leurs rôles respectifs d’écorchés vifs en quête insatiable de vengeance. Si Shin Ha-kyun parvient à nous émouvoir quasiment à chacune de ses apparitions, son regard candide et sa sensibilité à fleur de peau lui conférant un aspect à la fois juvénile et fragile particulièrement bouleversant ; Song Kang-ho, quant à lui, impressionne de par sa froideur ataraxique à la limite de l’inhumanité. Le plus grand tour de force du film est sans nul doute d’avoir réussi à rendre ces deux personnages antithétiques réellement attachants : malgré la violence archaïque de leurs actes, nous ne pouvons nous empêcher d’éprouver de la compassion pour eux (le titre du film est ainsi particulièrement bien choisi).

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On pourra toutefois adresser un petit reproche à Sympathy For Mr. Vengeance : sa gestion des ellipses parfois maladroite qui atteint quelque peu la cohérence globale de l’intrigue. En effet, dans sa seconde partie, le film fait l’impasse sur certains détails du déroulement de l’enquête policière ; de ce fait, l’on ne comprend pas toujours comment les personnages en arrivent à leurs déductions compte tenu du peu d’éléments qui nous est fourni. Si ces trouées scénaristiques ne poseront pas de problème majeur à la bonne compréhension de l’histoire, elles pourront néanmoins irriter les plus pragmatiques d’entre nous… Cependant, on peut légitimer ce parti pris par l’idée que l’intérêt du film se trouve dans le contenu formel, dans l’intensité des émotions suscitées par la mise en scène, les interprétations des acteurs et la violence graphique des images qui constituent la conséquence directe du canevas diégétique de départ – la trame principale et non les détails –, soit un langage bien plus instinctuel et sensoriel qu’intellectuel.

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Sympathy For Mr. Vengeance est donc ce qu’il convient d’appeler une œuvre forte, viscérale et passionnante qui, loin de chercher à ménager son spectateur – l’interdiction aux moins de 16 ans est totalement justifiée, et ce même en dépit de l’absence de scènes vraiment gore ; la noirceur du propos tenu par le film s’y substituant sans problème –, imprimera en lui son empreinte sanglante de manière durable et surtout irrévocable. Un film culte sur le thème de la vengeance, et sans doute le plus marquant et le plus abouti, après Old Boy, de la filmographie de Park Chan-wook.