Critique: Ip man de Wilson Yip avec Donnie Yen

Ip man de Wilson Yip
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3.5

En ce début de mois d’octobre, le Ip Man de Wilson Yip sort en DVD en France et aux Etats-Unis, presque 2 ans après sa sortie dans les salles chinoises. Et on peut être à peu près sûr qu’il va être marketé comme « le film sur le maître de Bruce Lee », ce qui aurait quelque chose de légèrement abusif : si l’appellation n’est pas mensongère, il est nécessaire de préciser que Bruce Lee est complètement absent de ce film. Ip Man traite de la difficulté à concilier vie de famille et discipline martiale, de l’occupation japonaise, de kung-fu et de fierté nationale, mais visiblement, la seule chose censée le vendre, c’est un vague lien avec Bruce Lee. Tragique.

C’est d’autant plus tragique qu’Ip Man peut se targuer d’avoir des qualités non négligeables, qui font de lui un objet cinématographique plutôt agréable à regarder. A l’inverse de l’actuelle tendance généralisée de l’industrie du film de kung-fu qui consiste à mettre l’accent sur l’aspect esthétique et exagérément acrobatique des combats, Ip Man renoue avec une conception plus old school du film d’arts martiaux, dans laquelle les capacités physiques des acteurs comptent plus que les compétences techniques de l’équipe d’effets spéciaux. Dans Ip Man, les acteurs ne font pas des sauts de 3 mètres de haut, personne ne se met subitement à voler, et quand deux personnages se battent, ils ont l’air d’échanger des coups, et pas de danser un slow. Ca peut paraître ridicule, mais c’est de ce genre d’éléments débiles qu’est faite la majorité des films de kung-fu post-2000, et il est donc bon de préciser qu’Ip Man n’appartient pas à cette catégorie. A l’inverse, Simon Yip a choisi de donner dans la sobriété et le réalisme, et on le remercie donc infiniment de nous rappeler qu’un combat d’arts martiaux n’a certainement pas besoin d’effets spéciaux pour être un spectacle impressionnant.

La modestie de la réalisation va d’ailleurs de pair avec celle du personnage principal, qui aime autant le kung-fu qu’il déteste attirer l’attention : même s’il est le meilleur combattant de Foshan, il se refuse à ouvrir une école et évite autant que possible les défis qu’on lui lance à tout-va. Il est riche, passe son temps à s’entraîner et à voir ses amis et, même si sa femme est parfois un peu jalouse, il a globalement tout pour être heureux. Sauf qu’au moment de l’invasion japonaise, la roue tourne ; il se retrouve alors fauché et contraint de travailler, pour la première fois de sa vie. L’affaire se complique lorsqu’un de ses amis est tué au cours d’un combat organisé par un général japonais… Une histoire qui ne brille pas par son originalité, mais qui a au moins le mérite de laisser la place à de nombreuses scènes de combats, toutes plus réussies les unes que les autres, et à quelques grand moments dramatiques. Dans les deux cas, Donnie Yen s’en sort avec brio, montrant qu’en plus d’être physiquement au top, il est aussi capable de jouer convenablement.

Ip Man souffre de quelques caricatures, de raccourcis un peu faciles et de clichés gros comme des maisons, mais au final, c’est un bon film de kung-fu comme on n’en fait que trop peu ces derniers temps. On entend les os craquer, on voit les jointures s’écorcher, et quand Ip Man se retrouve, de fil en aiguille, à porter sur ses épaules le poids de la fierté nationale chinoise toute entière, on sent que sa modestie s’efface pour laisser place à une ineffable fureur de vaincre ; celui qui évitait les combats quelques mois plus tôt s’acharne alors avec rage contre les envahisseurs, et, pendant un moment sublime, on découvre que ce personnage trop beau pour être vrai est en fait bel et bien humain. Tout comme les films de Bruce Lee (puisqu’on a la référence sous la main, autant l’utiliser), Ip Man souligne subtilement le fait que, derrière toute la reluisante panoplie d’idéaux et de valeurs idylliques inhérentes à la philosophie du kung-fu, ceux qui le pratiquent ne seront toujours que des hommes, forcément imparfaits. C’est justement le fait qu’il dépeigne un monde réel et des personnages qui sonnent vrai qui fait l’intérêt de Ip Man. On commence à le savoir, le film n’est que légèrement inspiré de la vie du « vrai » Ip Man, mais qu’importe ? La différence entre un film et un documentaire, c’est qu’un film peut se permettre plus de liberté, c’est donc plutôt bas de le tacler là-dessus… Pour la petite histoire, ça fait une petite dizaine d’années que Wong Kar-Wai essaye de développer son propre Ip Man. Le connaissant, on sera sûrement en droit de s’attendre à un ballet de frous-frous, et peut-être même à un scénario centré sur la vie sentimentale du maître de kung-fu… croisons les doigts pour que le projet reste au fond d’un tiroir.