Critique : Godzilla vs Kong de Adam Wingard

Date de sortie
22/04/2021
Notre score
2.5

Attention : cet article contient de nombreux spoilers

En 2014, Legendary Pictures et Warner Bros relancent la carrière de Godzilla avec le reboot suggestif tout en ombres signé Gareth Edwards. Si les réactions du public sont nuancées, les 524 millions de dollars de recettes internationales entérinent la mise en chantier d’une trilogie consacrée au plus célèbre des kaijû.

Entretemps, Legendary est racheté par la multinationale chinoise Wanda et entame un nouveau partenariat avec Universal. Mais les monstres géants restent dans l’accord de co-production/distribution avec Warner. A l’heure où Marvel jouit de son univers partagé, il semble naturel de ramener King Kong sur le devant la scène pour ensuite l’opposer à Godzilla, qui voit sa trilogie s’évaporer. Ainsi, Kong : Skull Island (Jordan Vogt-Roberts, 2017), coup d’envoi officiel du « MonsterVerse », récolte 566 millions de dollars dans le monde. Ces scores augurent le meilleur pour les prochains opus dédiés aux ambassadeurs du gigantisme cinématographique. Mis en ligne durant l’été 2018, le premier teaser de Godzilla II : Roi des Monstres de Michael Dougherty promettait un spectacle apocalyptique doublé d’un hommage sincère aux créatures de la Toho (Rodan, Mothra, King Ghidorah). Le succès semble déjà acquis puisque Michael Dougherty et son scénariste Zack Shields travaillent déjà sur Godzilla vs Kong, en collaboration avec Terry Rossio. Fort de The Guest et You’re Next, Adam Wingard donne le premier coup de manivelle à Godzilla vs Kong fin 2018 et achève la production printemps 2019. Fin mai, contre tout attente, Godzilla II : Roi des Monstres réalise une contre-performance brutale. Budgété à 170 millions de dollars, le film n’en rapporte que 110 sur le sol US et termine sa carrière avec 386 millions tièdement récoltés par Warner/Legendary. Que faire alors de Godzilla vs Kong, annoncé pour mars 2020 ?

La crise COVID va momentanément décider du destin du film de Wingard. Clairement, les deux factions productrices ne veulent plus entendre parler de Godzilla II, qui s’offre néanmoins une seconde vie sur le marché vidéo.

Pourtant Godzilla vs Kong est censé s’inscrire dans la continuité de Kong : Skull Island, et surtout Godzilla II, en poursuivant le développement de Madison (Millie Bobby Brown) et Mark Russell (Kyle Chandler). Les nouvelles consignes éditoriales sont claires : Godzilla vs Kong sera un film schizophrène qui doit s’affirmer comme un opus autonome tout en reprenant les survivants des films précédents, purgés de tout arc superflu. Plein feu sur les monstres et tant pis pour les humains. L’impératif financier est de faire venir tout le monde, nouveau venu comme fan assidu du « MonsterVerse ».

Après moult reports, la promotion s’amorce fin janvier 2021 avec une bande qui annonce le ton : fun, coloré, superficiel. Le film sort en Chine le 26 mars 2021 et engloutit le box-office local (177 millions de dollars à l’heure où ces lignes sont écrites) pour cumuler plus de 400 millions à l’international, malgré une sortie en salles essentiellement concentrée sur l’Asie du Sud-Est. Aux USA, Godzilla vs Kong est proposé en streaming sur HBO MAX et sort dans un parc bien délimité de salles, pour réaliser un confortable cumul de 86 millions de dollars au bout d’un mois d’exploitation. Un chiffre plus qu’honorable en pleine pandémie mondiale. Ce succès inattendu redonne foi à Warner/Legendary, qui voit en Wingard le messie du « MonsterVerse ». Ce dernier est déjà en négociation pour réaliser le prochain film de cet univers étendu : Son of Kong. Mais comment expliquer ce succès de Godzilla vs Kong ?

En ne durant que 113 minutes, Godzilla vs Kong va à contre-courant de la plupart des blockbusters actuels, condamnés à durer « au minimum » plus de deux heures et demi. En privilégiant un rythme soutenu épousant les combats de monstres, Wingard met en exergue une certaine vision distrayante du « monster movie ».

Parlons justement des monstres. Kong est ici une vision simiesque du John McClane d’Une Journée en enfer, qu’on extirperait de sa gueule de bois pour affronter une menace explosive. Wingard cite même Piège de cristal : Kong saute in extremis d’un porte-avion tandis que le bâtiment explose derrière lui. Définitivement « trop vieux pour ces conneries », Kong se prend aussi pour Martin Riggs (Mel Gibson dans la saga L’Arme Fatale) en remettant en place son épaule disloquée. Solitaire mais humanisé, ce nouveau Kong communique avec la petite Jia via le langage des signes. A ce titre, cette nouvelle version de « la Huitième Merveille du Monde » tient plus du Fils de Kong (1933) et de Monsieur Joe (1949), qu’au gorille originel de Cooper et Schoedsack. Mais Wingard surprend en lui offrant un parcours initiatique attachant en le parachutant au cœur de la « Terre Creuse », terre mythologique à l’origine des monstres…

L’entrée en matière de Godzilla pourrait être une adaptation du sketch « Casimir a pété les plombs » des Nuls, qui montrait le Roi des Monstres détruisant Hokkaido dans une série d’extraits tirés de Godzilla vs King Ghidorah (1991). Bien que Godzilla II le confortait dans son rôle de protecteur de la Terre, Godzilla vs Kong oublie donc cette continuité pour en faire un monstre fou et destructeur. Quelque chose a visiblement sauté au montage. Nous y reviendrons. Bien qu’ultra-féroce, cette version de Godzilla s’anthropomorphise par instants, rappelant l’évolution « tout public » du personnage sur la période 1964-1975.

Le superviseur des effets spéciaux John « DJ » DesJardin choisit d’adopter le point de vue des monstres, à travers des visions subjectives et des caméras « embarquées ». Le spectateur peut admirer Hong Kong « de l’intérieur » à travers les yeux de Kong ou de Godzilla. Wingard et « DJ » signent l’un des plans les plus audacieux du « MonsterVerse » en plaçant l’objectif sur le cockpit d’un jet de l’US Air Force, décollant de justesse du porte-avion laissant un Kong enragé en arrière-plan. La seconde bataille entre les deux monstres, située dans un Hong Kong nocturne, fait passer « le port aux parfums » pour un gigantesque flipper fluorescent où s’entrechoquent les deux adversaires.

Godzilla vs Kong dissimule une troisième star en la personne de Mechagodzilla, élaboré « en secret » par la firme APEX, et son dirigeant Walter Simmons (Demián Bichir), qui a juré de terrasser le Godzilla originel. Ce nouveau Mechagodzilla n’est pas si loin de ses prédécesseurs de la Toho, à savoir un arsenal sur pattes, toujours prompt à expulser missiles, lasers et autre foreuses. Pourtant, le design est loin d’égaler ses glorieux aînés de 1974, 1993 et 2002. Même le Mechagodzilla vu rapidement dans Ready Player One en imposait plus. Pourtant, aussi bien chez Spielberg et Wingard, le kaiju cybernétique est l’avatar d’un homme d’affaires avide de pouvoir. Mechagodzilla ou l’incarnation du capitalisme véreux…

Si Wingard s’offre des instants récréatifs réjouissants, il le fait détriment de potentiels enjeux dramatiques, sans doute amputés pour le montage définitif. Côté Kong, Nathan Lind (Alexander Skarsgård) et Ilene Andrews (Rebecca Hall) se contentent d’accompagner Jia (Kaylee Hottle), pilote du destin de Kong. Côté Godzilla, Millie Bobby Brown et Julian Dennison, flanqués de Brian Tyree Henry en podcasteur conspirationniste, mènent leur enquête sur les exactions de Godzilla et les manigances d’APEX. Quid de Zhang Ziyi et Jessica Henwick, pourtant annoncées au casting ? L’assistant de production Ryan Unicomb a récemment révélé que de nombreux développements humains ont effectivement été sacrifiés. Maia Simmons (Eiza González) devait notamment contrôler Godzilla avec le dispositif ORCA, déjà présenté dans Godzilla II, justifiant ainsi son soudain revirement…

En l’état, Godzilla vs Kong ressemble à une version grand format de la série animée de 1998, qui faisait suite au film de Roland Emmerich. Les humains se contentent ainsi de suivre les kaijû à travers les océans du monde. Pourtant, à l’heure des Snyder Cuts conquérants, il serait pertinent de voir Godzilla vs Kong dans une version rallongée qui donnerait satisfaction aux puristes du « MonsterVerse ». En l’état, le film s’oublie trop rapidement. Cependant, il constitue une porte d’entrée idéal pour un enfant sur le point de s’initier au film de monstres géants…

Pour ceux qui voudraient, les 10 premières minutes du films sont disponibles ici :

Godzilla vs Kong de Adam Wingard
2.5