LUFF 2020 – Critique : Robinson’s Garden (1987) de Masashi Yamamoto

Date de sortie
1987
Réalisateur
Masashi Yamamoto
Chef opérateur
Tom DiCillo

Encore au tout début de sa carrière et déjà sous l’œil de la Berlinale en 1987, Masashi Yamamoto y proposait un surprenant Robinson’s Garden. A l’image du surprenant Saint Terrorism qu’il proposait quelques années plus tôt, le film de 1987 s’intéresse une fois de plus à ceux qui vivent en marge de la société et n’y trouvent pas leur place. Diffusé cette semaine à Lausanne dans le cadre d’un focus du LUFF 2020, on saisit l’occasion pour vous en parler.

Synopsis :
Kumi (incarnée par Kumiko Ohta) a longtemps cherché sa place dans une société qui ne lui convient pas. Lassée, elle s’évade de Tokyo et se retrouve au milieu d’un site industriel abandonné où se réunissent d’autres personnes qui, comme elle, n’ont pas leur place en ville 

La zone industrielle où Kumi se retrouve rassemble des gens de tous horizons : des jeunes en marge, des personnes plus âgées qui cherchent autre chose, des étrangers que la société rejette. Tous ceux à qui l’on a fait comprendre à un instant particulier qu’ils n’avaient pas leur place dans une ville de Tokyo qui peine à laisser de la place à tout le monde. Fasciné par ces personnes en marge, Masashi Yamamoto nous conte l’envie d’une vie plus paisible et loin des tourments de la ville, sans pression ni obligations, pendant quelques jours d’été où tout semble possible malgré la précarité dans laquelle vivent sa galerie de personnages. A la limite entre hippie et punk, son film dévoile un chaos curieusement paisible où les personnes laissent libre cours à leurs âmes, sans limite et sans règles. Seule la volonté des uns et des autres animent leurs actes, sans que cela ne verse non plus dans l’anarchie : on sent que Masashi Yamamoto est attaché à un idéal sans règles, laissant la civilisation exister au travers des êtres qui la composent plutôt que les règles édictées. Il y raconte une forme de paix et de légèreté grâce à des personnages aux buts tous différents, mais toujours sans anxiété, en opposition totale à la ville qu’il montre comme oppressive.

Et cette vision n’en est que sublimée par sa collaboration avec Tom DiCillo, le chef opérateur qui a notamment travaillé avec Jim Jarmusch. Les styles se confrontent mais trouvent un terrain d’entente, car il saisit bien la volonté du cinéaste japonais en recherchant des tons nuancés, chauds, profitant de l’été japonais pour raconter ce monde bien différent de nos quotidiens. On reste fascinés par sa manière de mélanger la zone industrielle, résidu d’une ville qui a évolué trop vite, à la nature qui reprend ses droits avec un arbre gigantesque qui attire tous les regards. Le travail de Tom DiCillo permet à Masashi Yamamoto de laisser libre court à son sens de la mise en scène, sa manière de capter l’imprévu et le naturel de ses acteurs et actrices, donnant encore plus de force à des personnalités probablement trop affirmées pour le quotidien qu’ils ont renié.

Ce n’était que ses débuts mais Masashi Yamamoto montrait déjà tout le caractère de son cinéma : il s’affranchit des règles comme ses personnages, il est même capable de passer de longues minutes sur un même plan pour le simple plaisir de déroger aux codes qu’on voudrait imposer en matière de rythme. Fascinant, Robinson’s Garden est un des piliers de sa filmographie. C’est une œuvre qui offre une belle critique sociétale, et qui n’a rien perdue de sa pertinence, même trente ans après.