Critique : Les 47 Ronins de Kenji Mizoguchi

En 1941, assisté de son scénariste Yoshi Katayoda et de Kaneto Shindo, futur réalisateur de Onibaba et de l’Ile Nue, Kenji Mizoguchi se réapproprie le mythe des 47 Ronins, d’après une pièce de Seika Mayama. Sur plus de trois heures de métrage produit par la Shochiku, Mizoguchi filme l’agonie de samouraïs dont le maître a commis la plus irréparable des fautes. Sortir une lame de son fourreau dans le palais impérial face au seigneur félon Kira. L’impie Asano a offensé le protocole.

Kenji Mizoguchi met en marche les conséquences d’un tel acte et suit l’écrasement complet d’un clan que l’on vient d’étêter. Kenji Mizoguchi va redéfinir et déstructurer l’espace visuel. Les mouvements d’appareil vont devenir un protagoniste à part entière, faisant place à des suppliciés unifiés qui tentent de lutter contre l’épaisseur des conventions.

Dans une atmosphère de désespérance et d’injustice, Mizoguchi assure un enchaînement fluide de séquences. La mise en scène suit une mécanique inédite d’où surgissent des scènes hallucinantes de précision. Chaque déplacement de caméra cache une vérité dont le plan séquence pourrait constituer un des paroxysmes.

La caméra de Mizoguchi est témoin d’un monde qui s’écroule comme un château de cartes, un univers de hiérarchies s’effritant de toute part, car les êtres les plus loyaux ont omis les fondements d’un pouvoir codifié. La nation donne aux plus médiocres. Des dégradés métaphoriques miment plus que jamais un Japon se tournant vers la guerre. Bien qu’il s’écarte d’un quelconque soutien filmique envers la propagande ambiante, Mizoguchi est du côté des condamnés; ceux là qui entrent les uns après les autres dans des couloirs immaculés et infinis.

Dans un dernier acte d’allégeance envers la patrie, les 47 Ronins se portent au sacrifice. Tout effort de changement dans un protocole monolithique restera sans réponse. Du fondement des choses, quand la caméra se fait discrète, jusqu’à l’élévation au dessus des hommes garantissant l’amorce d’un dialogue avec le divin.