Critique: Survive Style 5+ de Gen Sekiguchi

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4.5

Pas facile facile d’écrire une critique de Survive Style 5+. Une critique, c’est quelque chose d’assez formel, qui répond à un certain nombre de codes pré-établis. Quand on commence la lecture d’une critique, on ne met pas les pieds en terrain inconnu. On sait qu’on va avoir une intro, un développement, une fin : c’est un petit parcours pépère. Et la plupart des films, aussi trashs, gores, violents, émouvants ou chiants puissent-ils être, obéissent également à ce genre de schéma. Mais pas Survive Style 5+. Pour pouvoir s’exprimer sur le sujet de manière appropriée, il vaudrait peut-être mieux écrire un poème surréaliste ou un haiku en verlan, réaliser une toile abstraite ou un patchwork de collages… pourquoi pas pisser dans une machine à laver.

Le vrai problème, c’est qu’on ne sait pas par où commencer, ni même sous quel angle aborder le film. Survive Style 5+ est un maelstrom visuel et sonore bouillonnant, furieux et caustique ; si on essaie de le cerner, il se débat et des morceaux sauvages de folie pure s’échappent en rugissant de la description que vous tentiez d’en faire : si vous lui collez une étiquette, il vous crachera à la gueule une demi-douzaine de scènes qui la contredisent. Ce genre de film est rare, alors quand on en voit un, mieux vaut ne pas le laisser passer. Mais même si la seule manière de rendre réellement justice à Survive Style 5+ est finalement de le regarder, on va quand même essayer d’en parler un peu.

La bio de Gen Sekiguchi, le réal, nous apprend qu’il a aussi fait pas mal de clips, une école qui peut être très formatrice. Un bon clip, dans le fond, c’est un truc qui réussit à créer une ambiance ou à nous faire comprendre une situation en moins de 5 minutes, sans prendre la peine de poser des bases ou de pratiquer l’immersion progressive. C’est un style narratif à part, une autre manière d’envisager le récit. Avec un clip, on est plus dans le feeling : les décors, les personnages et la musique prennent tous les trois une importance égale dans la compréhension qu’on va avoir de l’ensemble. C’est exactement ce qui se passe avec Survive Style 5+. Il n’y a pas des tonnes de dialogues, pas de longues réflexions compliquées sur des situations qui pourtant le son, mais on chope l’idée, comme ça, naturellement : le caractère des personnages est défini non seulement par ce qu’ils font, mais aussi par les fringues qu’ils portent, les décors dans lesquels ils évoluent, et la musique qu’on leur colle. Bienvenue dans la quatrième dimension.

Car autant le dire, question décors et costumes, ça envoie du lourd : le film semble être un culte au kitsch et aux couleurs. Si certains personnages évoluent dans la conformité trop lisse de la classe moyenne japonaise, les autres semblent n’avoir peur de rien… Mention spéciale, évidemment, au personnage de Tadanobou Asano, avec son jogging rouge, son imperméable décoré main et son corbillard à fleurs. Là-dessus plane une BO protéiforme, qui passe sans complexe de l’electro au chant de Noël puis au rock indé, qu’ils soient français, japonais ou ricains. Au milieu de tout ça, on s’étonne à peine de trouver l’acteur anglais Vinnie Jones (Snatch, Midnight Meat Train), toujours aussi immense, dans un de ces rôles de tueur à gages qui lui vont si bien.

Il partage l’affiche avec Tadanobou Asano, donc, qui joue le rôle d’un type un peu désaxé qui passe son temps à buter sa femme immortelle. On ne pose pas de questions, on prend ça comme ça vient. On ajoute une publicitaire qui rit toute seule de blagues qui se déroulent dans sa tête, une bande de jeunes cons qui découvrent leur corps et un père de famille qui se prend pour un oiseau, on mélange tout ce bordel, et ça fait Survive Style 5+. Les personnages se croisent, interagissent plus ou moins les uns avec les autres, évoluent tous dans le même monde bizarre ou tout semble possible du moment qu’on ne s’y attend pas. Même Sonny Chiba fait un caméo de 5 petites minutes, et le fait qu’une star aussi historique soit sous-employée au milieu de tout ce joyeux foutoir ne fait même pas tache.

Gen Sekiguchi nous offre avec Survive Style 5+ un film de 2 heures qui se mate comme un clip multicolore et expérimental ; c’est fun, frais et couillu, mais les personnages sont tout de même assez attachants, à leur manière, pour qu’il parvienne à faire mouche avec quelques vrais beaux moments de poésie, qui achèvent d’en faire une odyssée où chacun trouvera son compte. Sekiguchi semble un peu sortir de nulle part, mais son film est une telle claque qu’il donne furieusement envie de fouiller son passé et, surtout, de surveiller de près son futur. Son sens de l’humour et de l’esthétique en font indéniablement un grand artiste de l’indépendant… en voilà au moins un qui a trouvé sa fonction dans la vie.