Pour la deuxième année consécutive, la Japan Foundation du Royaume-Uni organise un cycle de cinéma dédié à la promotion et sensibilisation du public britannique au cinéma japonais intitule « East Side Stories », du 31 janvier au 27 mars.
Pour sa première partie, du 31 janvier au 6 février, onze films sont projetés au prestigieux ICA (Institute of Contemporary Arts) auxquels s’ajoutent plusieurs conférences rassemblant divers talents.
Cette année, les projecteurs se portent sur le cinéma mettant en scène la vie des jeunes. Ainsi, que ce soient animations ou films de fiction, tous donnent une vision contemporaine de la jeunesse japonaise en recherche de sens et d’identité. Le film de jeunesse (seishun eiga) est un genre très populaire au Japon, qui en a fasciné beaucoup au-delà de Hirokazu Kore’eda, de Yasujiro Ozu à Nagisa Oshima.
Parmi les films sélectionnés, on notera notamment la présence du succès surprise auprès de l’audience britannique lors du dernier festival Terracotta, The Story of Yonosuke (2012), mais aussi de Love Strikes ! (2011) avec Mirai Moriyama (20th Century Boys) et réalisé par Hitoshi Ohne, et l’animation réaliste de Keiichi Hara, Colorful (2010).
Ces trois talents ont participé à une conférence sur l’industrie du cinéma japonais que l’on peut résumer en plusieurs idées clés.
Depuis plusieurs années, l’industrie cinématographique s’est vue largement rattachée aux chaines de télévisions qui sont désormais les principaux financeurs que ce soit en termes de films de fiction ou d’animation. Comme le souligne Hitoshi Ohne, bien que le cinéma ait ses propres distributeurs, les acteurs majeurs sont désormais les chaines. Cette hégémonie fait que la préoccupation des marchés étrangers est moindre au profit d’une meilleure adaptation au marché local. En effet, la taille considérable du marché japonais – troisième marché cinématographique mondial – fait que les ventes cinéma nationales suffisent à couvrir les frais de production. Cette orientation très locale explique que depuis quelques années les films japonais représentent facilement plus de 50% du box-office de l’ile nippone.
Une autre dynamique spécifique au marché japonais est que l’animation précède souvent les adaptations télévisées puis cinéma, les animés eux-mêmes étant inspirés de manga. Ainsi, du manga procède une série puis film d’animation, puis un drama et enfin un film. Cette dynamique permet de créer des marques fortes avant même d’atteindre les salles sombres.
Hitoshi Ohne explique aussi la pression qui pèse sur les réalisateurs de drama en primetime, alors que lui, qui s’occupe de productions de fiction dédiées aux heures creuses (le matin ou la nuit),il a certes un budget plus faible mais bien plus de liberté créative – les producteurs étant bien moins intéressés. Ce qui le fascine d’autant plus est le succès que peuvent avoir ses productions via les médias sociaux, bien que peu de spectateurs les regardent à ces heures tardives, parfois bien plus que certaines grosses productions. C’est aussi ce qui le motive à travailler dans de telles contraintes, peu de temps et d’argent, car travailler avec un plus gros budget et plus de marge de manœuvre lui semble assez déroutant. Pour Love Sick ! Ohne n’avait qu’un budget de 100,000 yen, a tourné avec une caméra de base (60D), sans éclairages artificiels, lui-même, avec certains acteurs amateurs, et en seulement 4 jours pour un film de 2 heures 20 !
Tous s’accordent, y compris l’acteur Mirai Moriyama, que ce qui les motive sur un nouveau projet est le scenario, mais aussi l’équipe avec qui ils vont travailler. L’avantage de telles productions télévisées avec moins d’attentes est pour le réalisateur de choisir et discuter directement avec les acteurs, permettant de transmettre la passion de l’histoire plus humainement, efficacement et directement. Mais, parfois, comme Ohne souligne avec humour, il est nécessaire de mentir un peu pour convaincre les talents de rejoindre un projet – par exemple dans le cas de Love Strike !, le scenario n’était pas complètement fini, alors que Mirai l’avait demandé expressément. En termes d’animation, Keiichi Hara préfère lui aussi choisir ses projets, ayant préalablement travaille comme employé d’un studio d’animation, mais se demande s’il a bien fait, car ses projets n’ont pas eu tellement de succès. Ohne choisit des histoires déjà écrites, les adaptent puis les présentent aux producteurs. Afin de ne pas se faire abuser par des producteurs obsédés par l’argent, il n’accepte les propositions que de trois ou quatre producteurs en qui il a confiance. Les « mauvais » projets sont facilement identifiables : une histoire relativement fine et une description du casting importante. Lorsque les acteurs prennent une telle importance, plus que les autres membres de l’équipe, un tel projet lui semble mal intentionné.
Au Japon, les acteurs ont une option autre que le jeu face à la camera : le « voice acting ». En effet, étant donne le poids de l’animation, certains acteurs peuvent atteindre le succès uniquement grâce à leur voix. Mais aussi, de plus en plus d’acteurs « traditionnels » choisissent de mettre leur voix au service de grosses productions. Ainsi, Mirai à lui-même prête sa voix au film d’animation Seinto Oniisan (Saint Young Men), interprétant le rôle de Jésus ! Le film est d’ailleurs projeté au British Museum.
En ce qui concerne le marché international, les producteurs japonais sont relativement peu intéressés. La musique, le cinéma et les cultures étrangers n’exercent plus tellement d’attrait pour les jeunes japonais. De moins en moins de japonais voyagent. Il y a certes quelques japonais influencés par la présence de films japonais en festivals important, surtout les trois principaux, mais ils sont une minorité. Hara a eu un certains succès avec ses films d’animation en Espagne et en France, mais il n’avait aucune orientation au-delà du marché japonais.
Du point de vue créatif, contrairement à la fiction, l’animation japonaise a gardé une tradition qui s’inspire des contes et légendes étrangers pour nourrir son inspiration. Par exemple la nouvelle série des studios Ghibli, Ronja the Robber’s Daughter sera adaptée d’un livre pour enfants suédois préalablement adapte au cinéma. Le sens inverse existe peu selon Hara, qui d’ailleurs ironise sur le fait que les animations japonaises se retrouvent parfois devant le public d’origine des histoires dont il s’est inspiré.
Crédits photos: Japan Foundation / Nokia Lumia 925 SmartCam