Chronique manga : Yawara! T.1 de Naoki Urasawa

© Kana 2020 Urasawa

Du haut de ses trente ans de carrière, Naoki Urasawa est devenu l’un des plus grands noms du manga. Parmi ses œuvres, on pense immédiatement à Monster, Pluto et 20th Century Boys, mais il y a un titre qui n’avait encore jamais atteint nos contrées. C’est l’un de ses premiers mangas, Yawara!, une histoire publiée entre 1987 et 1993 qui mélange le sport au genre de la « tranche de vie », racontant les péripéties d’une judoka qui rêve de tout sauf de son sport. Un titre humoristique, touchant, qui sort enfin en France grâce aux éditions Kana. Le premier tome, dans une édition Deluxe, est disponible depuis septembre 2020.

Synopsis :
« Depuis toute petite, Yawara Inokuma a été entraînée par son grand-père Jigorô Inokuma, un champion de judo, qui voit en elle une future star de la discipline. Il a été annoncé que les JO de Barcelone accueilleraient enfin la discipline féminine dans la compétition. Jigorô rêve donc de faire de sa petite-fille la première championne olympique féminine de judo. Mais contrairement aux attentes de son aïeul, la jeune fille ne rêve que de mode, d’amour, d’idol… Bref, elle n’aspire qu’à une vie d’adolescente ordinaire, loin des entraînements et des compétitions. Mais c’est sans compter son talent inné pour le judo, que son entourage ne lui permettra pas d’oublier…! » (éditions Kana)

© Kana 2020 Urasawa

Faire un tel retour dans le temps sur la carrière de Naoki Urasawa offre énormément d’informations sur ce qui a construit son immense carrière. Avec Yawara, le mangaka apprend les ressorts humoristiques et les affines : le manga n’est pas parfait, disons le d’emblée, on sent qu’il peine parfois à saisir pleinement le potentiel comique des situations. Mais c’est un essai passionnant tant on sent l’envie et la détermination à s’améliorer, au fil des chapitres, gagnant en assurance. Ce premier tome regorge de quelques pépites, de l’humour de situation qui fonctionne parfois très bien lorsque l’auteur arrive à tourner en dérision une galerie de personnages qui ont beaucoup de choses à apporter à son histoire. Si on est bien face à un humour symptomatique des mangas de son époque (les années 1980), à commencer par le papy pervers, il y a des gags réussis et presque intemporels.

Il y a bien des choses qui font tiquer aujourd’hui : des valeurs familiales, sociales et une approche de la condition des femmes qui est arriérée, mais Yawara offre une jolie photographie de son époque. Même sans être un amateur de judo (et c’est le cas de votre serviteur ici-même), on y trouve un malin plaisir à suivre l’histoire et l’ascension d’une jeune femme qui cherche à se libérer des contraintes familiales. Elle, qui n’aime pas non plus le judo et qui n’a eu d’autre choix que de suivre les enseignements d’un grand-père en mal de gloire, cherche à s’émanciper et devenir une « fille comme les autres ». Alors c’est très caricatural, puisque la féminité est racontée au travers du shopping et des garçons qu’elle rencontre, mais l’héroïne est terriblement attachante grâce à sa détermination et sa bienveillance, quand bien même elle évolue dans un monde masculin qui ne lui fait aucun cadeau.

© Kana 2020 Urasawa

Ce retour aux prémices de la carrière de Naoki  Urasawa montre aussi les failles d’un auteur qui se cherchait encore. Au-delà de l’humour parfois hésitant, c’est un rythme lent qui a du mal à se trouver, on voit vite que le mangaka ne maîtrise pas encore tous les outils narratifs. Mais ces hésitations sont vite balayées par une bonne volonté et surtout, une humeur enjouée qui se dégage du titre. Car Yawara! est aussi imparfait qu’attachant, c’est un manga qui représente son époque de la meilleure des manières et qui montre déjà les bases de ce qui a fait la popularité de son auteur. Sa manière de construire les personnages rappelle en effet le travail qu’il fait plus tard sur ses titres les plus connus.

Et c’est sûrement ce qu’on venait chercher dans Yawara!, un manga attendrissant, attachant, qui malgré des errements propres à l’industrie de son époque s’affirme comme une œuvre passionnante. Kana nous propose une belle édition et ce serait dommage de s’en priver, notamment pour les fans d’Urasawa qui ont une occasion en or de voir comment l’évolution de leur auteur favori.