L’histoire : Un patron de la pègre règne sur un quartier de Manille, et contrôle la population par la religion et la violence. Mais lorsqu’il confie à un de ses hommes de main la tâche de surveiller sa femme, les ennuis commencent…
Nous revenons sur la 21e édition de l’Etrange festival qui s’est récemment terminée, pour parler de notre coup de cœur du festival à savoir : Ruined Heart : Another love story between a criminal & a whore du réalisateur philippin Khavn.
Ruined Heart se résume en un cocktail simple de violence et de sexe, sous fond de musique indie… Quasi aucun dialogue audible, pas de narration vraiment logique, Ruined heart se veut être un film libre.
Liberté dans la narration grâce à son montage déstructuré, avec des allers retours dans le temps, amenant une dimension poétique immédiate. Les personnages communiquent par les regards, les gestes, dans les situations dans lesquelles ils évoluent (un bus, un parc de jeux, une chambre…) donnant l’impression qu’on se trouve à l’intérieur de leur monde psychique pour une expérience des plus originales. Cependant, le point faible de ce dispositif reste la dramaturgie car il n’y en a pas vraiment. Mais le spectateur est prévu dès le titre comme le film se nomme « Ruined Heart : Another love story between a criminal & a whore », on sait que les personnages sont des archétypes, que l’histoire jouera avec ces codes : un criminel qui va protéger une prostituée en tombant amoureux d’elle…
De l’expérience Ruined Heart, on ne peut absolument pas dissocier la musique de l’image, chaque chanson ou thème plongeant dans une ambiance tout à fait particulière, à la fois noire et romantique, tout à tour organique, sexuelle ou encore enfantine…Chaque séquence sera accompagnée par un thème, sans temps mort. C’est simplement la BO de l’année. Parfois les paroles sont en français (le magnifique « Cœur brisé »), ce qui est original pour un film philippin coproduit avec l’Allemagne dont le personnage principal est japonais… Le score produit et composé en majorité par Stereo total (groupe allemand) vaut à lui seul le fait de voir le film, lui donnant son rythme, des couleurs, des tonalités uniques. La chanson titre « Ruined heart » est elle composée par Khavn le réalisateur.
Ok pour la musique mais l’image n’a rien à envier… Le traitement visuel de monsieur Christopher Doyle, directeur de la photo des meilleurs Wong Kar Wai (Chungking express, Les anges déchus,…) reste toujours aussi hallucinant. Il n’a rien perdu de son génie photographique, son savoir faire pour animer des corps dans un cadre, pour jouer avec la lumière et les couleurs. Du générique de début représentant des tatouages sur un corps inerte, aux courses dans les ruelles sombres de Manille, en passant par la caméra embarquée sur le bras plâtré de Tadanobu Asano, les idées fourmillent pour faire naître cette énergie, cette vie dans la mise en image, qui rappelle tant les premiers Wong Kar Wai dans le création d’une poésie de la frénésie. On sent que le film est filmé sûrement en Reflex, qu’il n’y pas de moyens énormes, mais quelle liberté et quelle beauté. Aussi le plan de Manille à l’envers rappelle celui de Happy together ou l’on voit Hong Kong dans le même cadre renversé.
Ruined Heart, ça cause pas beaucoup, mais c’est incarné par une gueule et quelle gueule : Asano Tadanobu. L’acteur japonais dégage une prestance de dingue, une animalité, il est à la fois viril et doux. Il commence une carrière à Hollywood, espérant qu’il trouvera des projets à sa hauteur, et on pourra le voir dans le prochain Kurosawa Vers l’autre rive, dans un rôle diamétralement opposé.
Khavn De La Cruz est un cinéaste à suivre qui possède son univers bien particulier, sortant des sentiers battus, proposant un cinéma proche de l’expérimental mais sans être abscond. Khavn a réalisé un film de cinéma comme on aimerait en voir plus souvent, un film libre, affranchi. Y a plus qu’à espérer que le film trouve un distributeur courageux en France et merci à l’Etrange festival de l’avoir programmé.
En attendant voici la chanson Ruined Heart de Khavn.