Kyoshi Kurosawa revient au cinéma avec Real (Riaru: Kanzen naru kubinagaryû no hi) après la série télévisée Shokuzai (devenue chez nous un diptyque au cinéma). Real a donc pour thématique la frontière entre le réel et l’irréel, permettant ainsi au réalisateur d’aborder aussi le rêve, la création et l’inconscient.
Avec le concept de « contact », technologie permettant de rentrer dans le subconscient d’une personne dans le coma, Kiyoshi Kurosawa s’ouvre un champ des possibles assez large pour nous raconter les méandres de l’âme humaine. Car c’est bien de ça qu’il s’agit, le « contact » permet au-delà de créer un lien avec la patiente comateuse, de vagabonder dans son inconscient, ses rêves, ses souvenirs, et surtout ses peurs… un terrain de jeu freudien propice pour créer un univers cauchemardesque que le réalisateur japonais aime tant à développer dans son œuvre.
Kurosawa développe une atmosphère de faux semblants, en jouant sur différentes strates d’illusions possibles pour mieux perdre le spectateur, intégrant aussi la création de l’artiste (les dessins du manga Roomi) comme éléments de cauchemar mais aussi révélateurs du subconscient.
Kurosawa réussit particulièrement les premières scènes du « contact », dans lesquelles Koichi retrouve Atsumi dans leur appartement, le réalisateur crée une ambiance pesante où semble-t-il tout peut se produire comme l’incarnation effrayante des dessins du manga. On retrouve le savoir faire du maître japonais de l’angoisse, des idées visuelles marquantes rappelant ce qu’on pouvait déjà voir dans Retribution, et bien entendu des apparitions fantomatiques qui sont à mi-chemin entre celles de Kairo (les visages des fantômes sont comme des visages de poupées de cire) et celle de Séance avec ici l’apparition d’un enfant constamment trempé.
L’atmosphère pesante et intriguante de cette première partie va basculer dans le dernier tiers du film par une débauche d’effets spéciaux, jusqu’à présent plutôt rare dans le cinéma de Kurosawa. Ces scènes risquent de dérouter plus d’un spectateur, tranchant littéralement avec l’épure du début.
Sur le propos, on a une impression de déjà-vu, avec ces thématiques tournant autour de la culpabilité… tant bien que si on est réceptif aux indices, on peut se douter assez rapidement du sous texte, voire de la fin… Real rappellera à certains par sa structure Existenz de Cronenberg, dans lequel les protagonistes se branchaient à des jeux vidéos (ici remplacé par le ‘contact’) plus réels que nature, et se perdaient alors dans un dédale entre réalité et fiction. Là où Kairo nous transportait dans un univers indéfini où l’humanité disparaissait peu à peu, Real nous explique ce qui se trame, et perd de sa force fantasmatique.
Comme dans Séance, Cure ou Retribution, il y a l’histoire d’un couple au centre du mystère. Dans ses autres films, les couples s’éloignaient peu à peu, ici il essaye de se retrouver. On comprend ce qui a pu alors intéresser Kurosawa dans l’adaptation de ce roman, approfondir des thématiques qui lui sont chères tout en ayant un point de vue renouvelé.
Takeru Sato interprète le mari, très froid, il manque peut-être un peu de substance. Haruka Ayase en revanche apporte une dose de mystère propice à développer l’angoisse et la peur. On retrouvera la formidable Kyoko Koizumi dans le rôle d’une médecin, toujours aussi ambiguë et intrigante.
Avec Real, Kurosawa propose un film d’anticipation original, riche en idées visuelles, s’inscrivant dans la continuité de son œuvre tout en apportant un peu de sang neuf. Kurosawa par son sens du cadre et de la lumière crée une ambiance lourde qui est propre à son cinéma, et qui ravira ses fans et les autres. La dernière partie du film risque, elle, de diviser, mais Real reste une belle invitation à se perdre à la frontière des deux mondes, celui des morts et celui des vivants.