Critique : La fille aux fleurs de Park Hak et Choi Ik-kyu

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La fille aux fleurs (1972) de Park Hak et Choi Ik-kyu, film nord-coréen d’une esthétique à cheval entre mélodrame, expressionnisme (parfois « baroque ») et « réalisme social » non-assumé, est une adaptation de l’opéra Le jeune bouquetière de 1930. Nous retrouvons l’Histoire racontée en mettant en avant l’émotion des personnages à travers le quotidien d’une famille monoparentale de paysans coréens, exploitée et humiliée par une aristocratie profiteuse pendant la colonisation japonaise. Nous nous retrouvons face à un portrait collectif digne de Dostoïevski dans « Humiliés et offensés » dont le point de vue adopté est celui des humiliés. Néanmoins, la mise en scène ne permet pas au spectateur de s’abandonner au film. Au contraire, le ton mélodramatique de La fille aux fleurs, dont la narration s’appuie excessivement sur des scènes de pleurs des personnages, distrait le spectateur et le distancie du propos même du film. Le décor baroque en studio fait perdre toute la force de cette mise en scène voulue réaliste. Les interprétations très appuyées, presque théâtrales, donnent un caractère de conte moraliste à la narration. On ne laisse pas beaucoup à faire au spectateur, qui doit se contenter de regarder des coréens malheureux à cause de l’abus des aristocrates méchants qui eux sont appuyés par des colons japonais. Plus qu’un film historique, le film ressemble à une épopée.

Le propos de cette oeuvre est clairement énoncé dans une séquence des plus intéressantes au niveau de la mise en scène, celle de Madame Kim dans la salle de lessive. Dans cette séquence la collègue de Madame Kim, domestique coréenne chez une famille d’aristocrates aussi coréens, dit à cette dernière « Vous travaillez jour et nuit dans cet état ». Madame Kim répond « Que faire? Je ne suis qu’une servante endettée », commentaire à la suite duquel la collègue ajoute « c’est parce que l’on ne possède pas de terre ». Cet échange se produit dans un décor dont les clairs-obscures intimistes rappellent certains tableaux des peintres néerlandais Gérard Dou  (1613-1675)  et Rembrandt (1606-1669). Il s’agit non seulement d’exposer les causes des inégalités, mais aussi de formuler un discours politique plus direct au cas où le spectateur ne verrait pas la dimension politique à travers ces scènes. Dans son propos « pédagogique », nous pouvons le rapprocher du Cuirassé Potemkine de  Sergueï Eisenstein (1925) dans ce qu’il semble vouloir légitimer une position idéologique ( caractéristique propre au film de propagande).

Par ailleurs, la libération de la Corée symbolisée par la révolte des paysans face aux aristocrates coréens collaborant avec les occupants vient donner une forme fermée au film et donc une unique interprétation possible: le communisme comme solution à la lutte de classes (interprétation d’une Corée communiste face à sa jumelle capitaliste). Ce film emprunte donc un discours très pédagogique de l’histoire à travers des figures manichéennes: la jeune fille aveugle accidentée par sa patronne (symbole d’une jeunesse sacrifiée et condamnée à l’asservissement), la mère paysanne devenue domestique suite à la colonisation (symbole de la servitude coloniale et de ce que l’on peut appeler le « corps colonisé », c’est à dire fatigué, vieilli prématurément, montrant les marques d’une tourmente psychologique) et une mère de famille aristocrate cruelle à l’image de toute sa famille (symbole du  mal  mais aussi de la corruption de la classe dominante/colon/ennemi intérieur). Ce qui peut être intéressant dans ce film est la domination qui passe non seulement par la force de l’occupant directement mais aussi à travers des « intermédiaires » qui assurent sa continuité. Les personnages sont décrits de façon à montrer les ambles anonymes de la révolution. Mais cette narration ne nous aide pas à comprendre la complexité des rapports entre japonais et coréens ni la multiplicité de positions idéologiques existantes. Elle ne porte pas un regard critique sur l’Histoire.

Néanmoins, la valeur du film apparaît à travers une transition esthétique et idéologique du cinéma dans laquelle les « leaders » politiques de ce pays (à l’époque de sa réalisation) semblent vouloir passer d’un certain naturalisme vers un cinéma avec une vision plus « romantique ». Cette dernière est induite par l’utilisation d’une image colorée aux traits proches du « Heimat social » des années 1970 en République Fédérale d’Allemagne.