Critique : The Shaman Sorceress de Ahn Jae-hoon

En compétition au Festival d'Annecy 2020

Production
2020
Studio
Meditation with a Pencil
Réalisateur
Ahn Jae-huun
Scénariste
Kim Dong-ri
Notre score
4.5

Dans la sélection des longs métrages Contrechamp au Festival d’Annecy 2020 se trouve un candidat inattendu : The Shaman Sorceress. Face aux mastodontes de l’animation qui étaient particulièrement attendus pour cette édition exclusivement en ligne du festival, le film réalisé par Ahn Jae-hoon offre quant à lui une approche nouvelle et particulièrement séduisante, fortement imprégnée de la culture et des croyances qui ont fait l’histoire de la Corée du Sud dans cette adaptation d’une nouvelle de Kim Dong-ni publiée en 1936, où il était question des traditions religieuses en Corée.

Synopsis (Festival d’Annecy) :
« Une fille muette et son père ont laissé chez moi un tableau intitulé « La Sorcière chamane ». Cette représentation vaut mille mots. Une chamane dénommée Mohwa, qui vit avec sa fille muette Nang-yi et son mari, a pratiqué le chamanisme durant toute son existence. Un jour, son fils Wook-yi revient à la maison après plusieurs années d’absence, et après s’être converti au christianisme. Cela provoque un conflit et mène sa famille à la tragédie. »

On ne peut pas dire que The Shaman Sorceress ne nous étonne pas. Les premiers pas face à l’oeuvre de Ahn Jae-hoon sont de suite empreints d’une invitation à un voyage dans le temps. Écoutant le narrateur, fils d’une famille amatrice d’art, on découvre l’histoire qui serait celle qui accompagne une toile d’une autre époque où bouddhisme, chamanisme et christianisme s’entrechoquent dans un pays qui évolue bien comme il peut. Mais cette invitation n’est pas uniquement celle du narrateur, c’est aussi et surtout celle envoyée par des visuels d’un charme fou. Son esthétique est d’une douceur inattendue, offrant une tendre vue sur une toile qui prend vie. Chaque plan, chaque scène est un excuse pour extirper les personnages d’un autre temps, venus de toiles centenaires, pour les faire vivre dans le présent raconté par des techniques d’animation modernes. La beauté des couleurs joue énormément, avec ces tenues et ces décorations propres au chamanisme tel qu’on le trouve en Corée (et qui rappelle parfois The Strangers, sans l’horreur) où les couleurs virevoltent pendant les rituels. Comme un poème agrémenté de musique, les récits du narrateur et quelques dialogues des protagonistes de cette toile sont régulièrement entrecoupés de chansons mélangeant des sonorités traditionnelles à des rythmes plus récents. Il y a quelque chose d’envoûtant, presque de « féérique ».

Et ce n’est pas un hasard, en commençant sur des sonorités traditionnelles avant de s’éparpiller vers quelque chose de plus moderne, le film en profite pour aborder son thème majeur : l’érosion de sa culture avec l’arrivée du christianisme et tout ce qui l’entoure, en Corée. Attaché au bouddhisme et au chamanisme mais pourtant de moins en moins croyant, le peuple raconté par le film se trouve face à une nouvelle religion, qui leur parle d’un Dieu unique et qui aborde la vie différemment : les prières remplacent les rituels, à l’image de cette séquence entre la mère chamane et son fils chrétien, ce dernier souhaitant prier avant son repas alors que la mère le voit comme un affront. Ces deux personnages, face à la fille qui est témoin de toutes les horreurs, symbolisent à eux-seuls la relation des coréens à la religion et à leurs traditions. L’opposition entre bouddhisme et christianisme provoque des scènes puissantes où la mère et le fils « s’affrontent », tentant chacun d’exorciser le mal qui touche l’autre. Le mal étant, dans les deux cas, la croyance opposée.

Au travers de ces personnages et dans une proposition tout à fait singulière, tant pour ses visuels que sa narration, le film de Ahn Jae-hoon égratigne l’influence des religions qui sont venues effacer un pan de la culture coréenne, alors que la foi est mise à rude épreuve par un peuple qui n’y croît plus vraiment. C’est la relation du peuple coréen à la religion qui est mise en cause, avec une famille dont le destin est bouleversé par des croyances qui n’ont jamais pu trouver de points d’entente. Tradition, religion et compréhension, des grands mots qui peuvent changer des vies et des cultures, comme le raconte de très belle manière The Shaman Sorceress. Un film d’une intelligence formidable, tant pour sa manière d’aborder avec douceur la culture qu’il aime que sa volonté de raconter les failles, mais aussi les forces, d’une famille qui n’a pas pu survivre à un changement beaucoup trop grand pour elle.

The Shaman Sorceress
4.5