Critique : Dragon Quest : Your Story de Takashi Yamazaki, Ryuichi Yagi et Makoto Hanafusa

Date de sortie
13/02/2020
Date de sortie (Japon)
02/08/2019
Réalisateurs
Takashi Yamazaki, Ryuichi Yagi et Makoto Hanafusa
Distribution
Toho / Netflix
Notre score
4

Licence vidéoludique prolifique, Dragon Quest a traversé les âges et les générations. On connaît l’attachement du public japonais à la licence imaginée dans les années 1980 par Yuji Horii, suscitant de multiples légendes sur son impact dans la société japonaise comme le mythe selon lequel son éditeur Square-Enix a l’interdiction de sortir un nouveau jeu Dragon Quest pendant la semaine, provoquant trop d’absentéisme à l’école et au travail pour des millions de joueurs qui veulent mettre la main dessus. Alors forcément, il fallait qu’un jour ou l’autre cette saga se retrouve au cinéma après s’être essayée aux manga et anime (la série Dai no Daiboken / Fly chez nous notamment, qui connaîtra bientôt une nouvelle adaptation). Et cette adaptation cinématographique se nomme Dragon Quest : Your Story, un film réalisé par Takashi Yamazaki (bientôt de retour au cinéma chez nous avec Lupin III : The First), Ryuichi Yagi et Makoto Hanafusa, sorti l’été dernier au Japon avant d’arriver le 13 février dernier en France sur Netflix.

Adaptation du jeu vidéo Dragon Quest V : La Fiancée céleste (Super Nintendo, 1992, puis Nintendo DS en 2009), Dragon Quest : Your Story raconte l’histoire d’un héros confronté à une force maléfique qui a bouleversé son monde. Reprenant peu à peu ses forces après avoir été jeté en esclavage pendant des années par une incarnation du Mal, Luca part explorer le monde en quête de compagnons de route et de solutions qui lui permettront de triompher alors qu’il semblerait qu’il soit l’Élu, le seul être capable de sauver le monde.

Bien connue et bien aimée, la licence des Dragon Quest n’a eue droit qu’à finalement très peu d’adaptations sur petit et grand écran. Probablement parce que son créateur Yuji Horii la défend comme son bébé, alors voir débarquer un film d’animation en 3D attise nécessairement la curiosité et surtout, l’engouement. Et le premier contact nous renvoie directement aux souvenirs de joueurs : des lignes de textes et des images de jeux qui semblent tout droit sorties de Dragon Quest V, avec la musique caractéristique de la série qui éveille en chacun des rêves d’aventure, la fibre nostalgique est plus que jamais mise à l’épreuve.

Visuellement, le film est propre et a même quelques belles idées en matière de couleurs et d’animation. Néanmoins il est difficile d’entrer dedans pour les amateurs des jeux : Dragon Quest est irrémédiablement lié aux dessins et personnages de Akira Toriyama (Dragon Ball), puisque ce dernier lui a toujours offert son style si particulier en dessinant notamment les couvertures des jeux. Un style que l’on ne retrouve pas ici, et que les character designers du film tentent d’éviter à tout prix en s’éloignant au maximum tout en restant fidèle aux personnages du jeu. Un exercice périlleux et qui a du mal à passer, car si les jeux avaient tendance à se rapprocher du style de Toriyama sans pour autant le singer, les auteurs du film préfèrent des personnages aux visages plus arrondis et gonflés que les traits distinctifs de l’auteur de Dragon Ball. Alors le premier contact est abrupt, mais on s’aperçoit rapidement que, à défaut d’y ressembler, les personnages sont bien ceux qui ont fait la popularité de la série : des héros emplis d’espoirs, de rêves et de détermination. Dragon Quest : Your Story s’approprie d’ailleurs rapidement les codes de la série, en récupérant cette fois-ci le design des monstres qui peuplent les terres, mais également en laissant une place importante aux dialogues teintés d’humour. Les Dragon Quest, malgré des moments déchirants, a toujours été empreint de cette malice propre à leur auteur Yuji Horii, avec un humour certain lors des dialogues. Le film n’y coupe pas et offre quelques gags bienvenus à des moments clés du récit, sans pour autant échouer à mettre en scène des moments plus émouvants. A l’image des affrontements contre les monstres emblématiques de la saga, ou surtout une fin plus déchirante où l’émotion fonctionne à merveilles.

Et cela est dû très certainement à une caractérisation des personnages très bien menée. Notamment pour Luca, le héros du film, dont la personnalité était une vraie question avant le visionnage. Il faut savoir que Yuji Horii s’est toujours attaché à ne pas donner de personnalité à ses héros : ils ne parlent pas, n’ont pas de nom (le nom étant choisi par la personne qui tient la manette) et laissent les joueurs et joueuses répondre par « oui » ou « non » à quelques dialogues (on vous conseille d’ailleurs, à ce propos, La Légende Dragon Quest de Daniel Andreyev chez Third Editions), alors mettre en scène ce héros de Dragon Quest V avec sa propre personnalité et ses décisions était forcément difficile. Pourtant le film s’en sort très bien, Luca correspondant assez largement à l’idée que l’on peut se faire des personnages du jeu. Tout comme ses partenaires qui l’accompagnent tout au long de sa vie.
Un vrai bémol toutefois : les Dragon Quest sont habituellement des voyages, des quêtes gigantesques qui durent des dizaines d’heures. C’est quelque chose qui est difficile à adapter sur un long-métrage, d’autant plus que le cinquième épisode canonique, qu’adapte Your Story, se déroule sur plusieurs générations. Alors le film enchaîne séquences, parfois trop vite et sans véritable liant. On perd probablement des moments importants du jeu original qui donnaient toute sa force à des séquences plus émotives, mais les auteurs retombent souvent sur leurs pieds et parviennent tout de même à garder une belle cohérence globale. Pour ce faire, ils opèrent des changements assez radicaux avec des pans d’histoire qui disparaissent, ou encore une fin réarrangée (sur laquelle on reviendra plus bas.)

Dans l’ensemble, Dragon Quest : Your Story a une énorme tendresse pour les fans de la saga, pour son univers et le sentiment d’échappatoire au quotidien qu’il procure. Si on lui reconnaît quelques qualités en matière d’animation, mais surtout sur ses jeux de couleurs qui opèrent un contraste entre une ambiance naturelle (couleurs chaudes) et un style très « cartoonesque » (tenues aux couleurs chatoyantes), c’est par le biais de la nostalgie que le film s’en sort le mieux. Difficile de dire s’il parviendra à toucher de complets néophytes à la saga, mais les fans y retrouvent certainement des thèmes narratifs qu’ils aiment tant. Qui plus est, le film s’appuie sur des reprises des fameux thèmes musicaux de Koichi Sugiyama qui ont fait et créé l’identité de la saga, des notes qui appellent à l’aventure, parfois presque grandiloquents, mais toujours avec ce caractère enjoué et plein d’optimisme qui caractérise les différentes histoires racontées au fil des décennies. Là où le film surprend le plus, c’est certainement sur sa fin et tout ce qu’elle en dit, mais nous en parlerons juste après la conclusion, afin d’éviter de vous « divulgâcher » un twist inattendu.

Dragon Quest : Your Story déborde d’amour pour la licence qu’il adapte, pour ses joueurs et pour l’importance qu’a pris ce jeu vidéo dans la société. On peut pester sur l’adaptation, fidèle ou pas assez, trop courte ou trop longue, mais l’essentiel n’est pas vraiment là. Le film parle à celles et ceux qui, un jour, ont eu hâte de rentrer de l’école, de l’université ou du travail pour continuer leur aventure. Celles et ceux qui ont parfois préféré jouer plutôt que dormir. Celles et ceux qui ont des frissons en entendant les quelques notes qui amorcent le thème principal de Dragon Quest. Celles et ceux qui trouvent du sens et du courage dans ces aventures qui célèbrent l’amour, l’amitié et le voyage. Le film est très certainement un objet cinématographique imparfait, et c’est bien pour ça que l’on a du mal à lui donner autant d’amour qu’il nous en offre. Mais s’il y a bien quelque chose que Dragon Quest : Your Story réalise à la perfection, c’est de saisir l’essence de ce qui unit Dragon Quest et ses fans depuis près de trente cinq ans.

ATTENTION SPOILER SUR LA TOUTE FIN DU FILM

Nous y voilà, discutons un peu de cette fameuse fin. Il n’y a pourtant pas tant de choses à dire, car elle appelle à des sentiments personnels qui appartiennent à chacun d’entre nous. Ce twist final révèle que ce « Your Story » qui se cachait dans le titre révélait en réalité une simulation de réalité virtuelle : Luca n’est pas une entité à part entière, mais bien un personnage de jeu vidéo. Celui-ci est incarné par un joueur lambda, et tous ses partenaires, tout ce qu’il a vécu n’étaient en réalité qu’un jeu. Un twist qui aurait pu sembler facile et tomber comme un cheveu sur la soupe, mais qui a pourtant beaucoup de sens. Mettre une personne dans la peau de ce héros, c’est redonner sens à ce que l’on disait plus tôt : Yuji Horii n’a jamais donné de personnalité, de manière arbitraire, à son héros. Ce dernier est l’incarnation des joueurs et des joueuses. Choisir de s’en tenir à cela, c’est vraie douceur et une marque de tendresse pour son créateur et les fans qui trouvent là une caisse de résonance ; le film est à leur image, il a compris leur amour et leur intérêt pour la saga. C’est un moment fort qui donne une autre dimension à un film qui aurait pu, sans cela, être trop classique et trop facilement oubliable.

Dragon Quest : Your Story
4