Critique : Le vagabond de Tokyo de Seijun Suzuki

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L’histoire : Tetsu, yakuza et favori de Kurata, le chef de son clan, décide de se ranger. Kurata lui offre un travail régulier. Mais cette faveur leur vaudra les critiques d’Otsuka, un autre chef de clan. Ainsi Tesu est condamné à quitter Tōkyō, et devenir une sorte de yakuza errant, un vagabond, pour préserver l’honneur de Kurata. Mais ce dernier le trahira, et Tetsu devra déjouer de nombreux pièges mortels. Finalement, il n’aura d’autre choix que d’affronter son ancien patron.

 

 

 

Elephant films continue de nous proposer de magnifiques Blurays d’œuvres cultes du cinéma japonais dans sa collection Cinéma master class. Après 3 premiers films de Seijun Suzuki (dont La marque du tueur) en 2015 puis 6 films de Shohei Imamura en 2016, voici le retour de Suzuki avec les éditions de Le vagabond de tokyo, La barrière de chair, et Histoire d’une prostituée.

Concernant Le Vagabond de Tokyo, il s’agit d’un film culte, assez inclassable surtout plus par sa forme que par son propos. Sur le fond, Le Vagabond de Tokyo raconte une histoire de yakuzas des plus communes, une dualité entre le respect du code d’honneur et sa transgression. Ajoutant à cela, une histoire d’amour entre Tetsu le yakuza et Chiharu la chanteuse, ainsi qu’un conflit de filiation entre le chef des yakuzas et Testu.

Sur ces bases, Seijun Suzuki explose les codes par la forme qu’il donne au film, à travers une inventivité renouvelée à chaque séquence, Suzuki nous fait dériver vers la comédie musicale de yakuzas. En effet, Tetsu chante la chanson du vagabond de Tokyo « Tôkyô Nagaremono », qui servira de leitmotiv le long du film, en réponse, son amoureuse Chiharu, chante dans le cabaret des chansons sur les amours brisés. Pour aller plus loin, les codes couleurs utilisés ainsi que les scènes de boites de nuit font penser aux comédies musicales américaines telle Blanches colombes et vilains messieurs (1955) de Joseph L Mankiewicz, mais aussi au cinéma de Jacques Demy (Les demoiselles de Rochefort).

En effet, tous les personnages sont identifiés par une couleur, qui pourra évoluer au fil de l’histoire. Tetsu, donc, au départ est vêtu de bleu ciel, et son environnement est bleu, le jaune pour Chiharu, le vert pour Keiichi, le rouge pour Otsuka, etc… Cette mutation du film en comédie musical permet toutes les expériences esthétiques à Suzuki, qui s’en donne à cœur joie, comme donner vie à son décor, à la lumière, aux couleurs.

 

Le film commence par une scène noir et blanc ultra saturée, dans laquelle Suzuki glisse un élément coloré.

 

Ci dessous le rouge disparaîtra lors d’un coup de feu.

 

Le décor du cabaret passera du noir au blanc.

Le vagabond de Tokyo est un uppercut visuel, qui ravira las amateurs de style.

Le train dans sa symbolique de voyage revient plusieurs fois dans la narration, tout d’abord dans la scène d’ouverture où l’affrontement se fera dans une zone de trains à l’arrêt. Puis Suzuki créera une des scènes emblématique et surréaliste du film, un duel sur un chemin de fer enneigé avec l’arrivée du train. Aussi, une scène où Tetsu et Chiharu se croiseront par train interposé.

Le voyage du vagabond, l’amènera jusqu’au far west symbolique d’un cabaret nommé « le western » dans lequel les G.I. et les japonais viennent s’encanailler. Mais « le western » va voir s’affronter les yakuzas car nous sommes bien au Japon, et lors d’une scène des plus folles, Tetsu qui a été trahi, va devoir retourner à Tokyo pour mettre un terme à son vagabondage.

La scène finale est totalement surréaliste dans son traitement, et une nouvelle fois, un bonheur visuel.

Le bluray propose donc le film avec une qualité d’image remarquable, rendant hommage à l’esthétisme incroyable du film. Nous avons droit aux bonus, dont 3 entretiens, la fameuse entrevue de Suzuki de 2001 pour la sortie de son dernier film Pistol opera.

En conclusion, si vous avez aimé La marque du tueur, Le vagabond de Tokyo vous sera indispensable, tant la maîtrise formelle de Suzuki est à son sommet. Le vagabond de Tokyo est un voyage à tous les sens du terme, celui de Tetsu à travers le Japon, mais surtout celui de Suzuki à travers le cinéma de yakuzas qu’il transfigure, qu’il emmène du genre du film noir au genre coloré de la comédie musicale. Un film à voir et encore plus à revoir tant il est riche. Un monument.

 

Critique : Le vagabond de Tokyo de Seijun Suzuki
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