Critique : Tokyo Tribe de Sono Sion

Tokyo Tribe de Sono Sion
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5

L’histoire : Dans un Tokyo futuriste, une immense guerre des gangs fait rage et divise la ville en quatre clans qui veulent imposer leurs règles. À la tête de deux bandes, deux anciens amis rivalisent et les rancœurs et sentiments personnels viennent se mêler aux affrontements des hommes dans un chaos toujours grandissant.

Pour sa 20e édition, l’Étrange festival fête cet anniversaire en beauté, avec entre autre la présence de Sono Sion, l’auteur réalisateur japonais le plus fou et talentueux de ces dernières années. Outre une carte blanche dans laquelle il propose de revoir French Connection et Babe 2 (véridique), Sono Sion est venu à Paris aussi pour montrer sa dernière œuvre en avant-première au public français et européen : Tokyo Tribe.

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Tokyo Tribe est l’adaptation du manga éponyme de Santa Inoue, datant des années 90 mais se concentre plutôt sur sa suite, Tokyo Tribe 2 qui se déroule sur une douzaine de tomes. L’histoire nous plonge dans un Tokyo chaotique devenu le terrain de jeu de gangs plus violents les uns les autres.

Sono Sion a gardé la trame principale en la traitant de façon originale à la manière d’une comédie musicale ‘hip hop’, la majorité des dialogues du film sont donc rappés, mais pas dansés. Les acteurs sont pour la plupart des non professionnels de la comédie mais de vrais rappeurs dans la vie. En résulte un film résolument surprenant sur la forme mais qui risque probablement de faire fuir ceux qui sont insensibles à cette musique.

Sono Sion aime la provocation, Tokyo Tribe sera un festival en la matière : sexe, ultra violence, vulgarité, grotesque, tant de raisons de ressortir du film dérouté avec l’impression d’avoir été immergé dans un univers oscillant entre Fight club, Orange mécanique, et Tex Avery !

Mais étrangement c’est pour ces mêmes raisons que Tokyo Tribe risque bien de faire date. Sono Sion, sous couverture de réaliser un film de divertissement absurde, démontre une nouvelle fois tout son savoir-faire implacable, son goût pour le mélange des genres, son sens inspiré de la mise en scène, tout en décrivant (sous couverture) une société en totale déliquescence.

Le Tokyo du film reste avant tout une fantaisie, une sorte de cauchemar d’anticipation où les différents quartiers de la ville se font la guerre, où l’ordre n’a plus sa place, où seule la violence règne. Tokyo étant une des villes les plus sûres du monde, ce Tokyo version Tribe ressemble à un parc d’attractions de l’ultra violence, devenant le terrain de jeu de Sono Sion lui permettant toutes les excentricités. Pour exemple, dans le repaire d’un gang, on trouvera une pièce avec des meubles humains en petites tenues rappelant les sculptures de femmes nues d’Orange mécanique de Stanley Kubrick. Mais cette réminiscence visuelle ne se veut pas qu’une simple référence, dans le film de Sion, ces esclaves/sculptures s’animent pour décharger leur violence sur un membre d’un gang adverse. A l’exemple de ce décor exultant de brutalité, la violence dans Tokyo Tribe devient un mode d’expression naturel dans un monde où il n’y a plus aucun repère sociétal. La première scène du film le démontre : une policière se faisant agresser sexuellement sans que ses collègues ne viennent l’aider…

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Coups sur coups, mots pour mots, le film de Sion se verra comme une décharge d’adrénaline, laissant le spectateur cloué à son siège.

Heureusement, la violence réaliste se trouve balancée par une violence ‘cartoonesque’, surtout lors de l’affrontement final, où les acteurs peuvent s’envoler, à la façon d’un animé… L’équilibre entre ce qui choque et ce qui fait rire permet des respirations salvatrices dans ce film coup de poing.

Niveau mise en scène, dès l’introduction Sono Sion réalise un plan séquence bluffant de maîtrise suivant un rappeur nous faisant découvrir son quartier haut en couleurs, avec une grand-mère DJ qui ponctuera de ses scratchs le film. Les plans sont pour la plupart en mouvements, virevoltants, sans pour autant être tape à l’œil. La photo signée Daisuke Soma explose la rétine, fourmillant de couleurs, de points de lumières, de saturations, encore une fois, on se croirait dans un parc d’attractions version hardcore, le chef opérateur sachant créer des ambiances très particulières, que ce soit de jour, de nuit, intérieurs comme extérieurs.

La bande son démontre la vivacité du hip hop japonais, aussi revendicateur que le hip hop occidental, tout en ayant gardé un certain sens des mélodies. Du gros son qui risque de devenir comme son film, rapidement culte.
Pour conclure, Sono Sion assoit une nouvelle fois sa personnalité unique dans un paysage cinématographique japonais moribond, il est de ces réalisateurs qui ne souhaitent pas se reposer sur leurs acquis et qui tentent des expériences nouvelles. Avec Tokyo Tribe, Sono Sion réalise un film uppercut qui sur le fond, semble quelque peu vide, mais qui en réalité va remuer le spectateur, n’est-ce pas le plus important ?

Tokyo Tribe est en compétition à l’Étrange Festival en espérant qu’il remporte un prix ce dimanche.