Critique : les 7 Samouraïs de Akira Kurosawa

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Attention les copains, le texte qui suit contient des spoilers.

Grande nouvelle : cet été, on a le droit à une belle ressortie des Sept Samouraïs, en version restaurée, et tout le tintouin. Je ne vous fais pas le topo, il faut bien sûr y aller, non seulement parce que le film est un must, mais aussi parce que, mine de rien, ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de le voir dans d’aussi bonnes conditions ; en outre, quitte à se taper 3h30 de bobines, autant le faire au cinéma, où on est moins à même de laisser sa concentration se diluer.

Les Sept Samouraïs, c’est le genre de film qu’on n’a plus vraiment besoin de présenter, mais, pour la forme, on peut tout de même se contenter de confirmer, en toute bonne foi, que tout le bien qu’on en dit habituellement est tout à fait justifié. Oui, c’est un putain de chef d’œuvre ; non, il ne fait pas ses presque 60 ans et continue de surprendre par sa modernité ; non, il ne fait pas sa durée ; oui, Akira Kurosawa est le meilleur derrière la caméra et Toshiro Mifune est le meilleur devant la caméra. Le truc est si imposant qu’on en oublierait presque que la production a mis le projet en standby plusieurs fois, que le budget les délais ont été explosés et que le tournage s’est fait dans des conditions horribles. Comme le veut un vieux cliché de la pression féminine, « il faut souffrir pour être belle », et la douleur dans laquelle Les Sept Samouraïs a vu le jour est sans nul doute à la hauteur de la perfection de son ramage.

Dans les faits, l’histoire que raconte le film est d’une simplicité enfantine : un village va être attaqué par des bandits, et les villageois engagent en conséquence des samouraïs pour les défendre. A priori, pas de quoi s’éterniser trois plombes sur la question. Mais de toute manière, le fond du film de Kurosawa est ailleurs, car, plus qu’autre chose, il rentabilise son ampleur temporelle en approfondissant ses personnages et leurs relations comme seule une narration décompressée habilement maîtrisée est à même de le faire. Le cœur du film, ce n’est finalement pas le conflit qui oppose les samouraïs aux bandits qu’ils combattent, mais celui qui oppose les samouraïs aux paysans qu’ils ont décidé d’aider. D’ailleurs, ces bandits n’existent même pas vraiment : ils ne sont qu’une idée, une vague d’oppression dénuée de raison et de motifs. Kurosawa ne leur donne pas de noms, à peine un visage ; ils n’existent que pour unir temporairement deux groupes sociaux habituellement cloisonnés, et pour servir de catalyseur au comportement des paysans.

Outre la mort, ce qui frappe dans les Sept Samouraïs, c’est son cynisme, ou tout du moins son regard bien désabusé sur la figure du samouraï et ses atours classiques (et, bien sûr, caricaturaux) comme l’honneur, la dévotion, le sens du sacrifice ou l’esprit de caste. Ce qui ressort de l’angle d’attaque de Kurosawa, c’est surtout que ces guerriers, souvent fantasmés et idéalisés, sont avant tout des êtres humains, soumis autant à leurs passions et à leurs faiblesses qu’à leur code de conduite ; surtout, et on aurait du mal à le leur reprocher, ils tiennent à la vie. Tous, d’ailleurs, sont des ronins qui ont visiblement décidé qu’ils avaient mieux à foutre que de s’embarquer dans une fatale quête vengeresse ou de se faire hara-kiri après avoir perdu leur maître, comme les très glorifiés fameux 47 ronins. Dans un geste qu’on peut juger hautement symbolique, Kurosawa introduit le premier de ses sept samouraïs avec une scène dans laquelle on le voit se couper les cheveux, alors même qu’il s’agit là d’un des signes distinctifs les plus forts et les plus importants de ce type de personnage ; par ce geste, Kurosawa rompt d’emblée avec les représentations traditionnelles, et souligne que, chez ses héros, la mission prime sur la fierté.

Kanbei, ce leader chauve qui, paradoxalement, ne dégaine que rarement son arme et tire son charisme de son fatalisme pragmatique, prévient d’emblée ses compagnons et le spectateur que le combat dans lequel les samouraïs sont sur le point de s’engager ne leur apportera pas la moindre gloire. Chacun le mène alors pour des raisons qui lui sont propres : par altruisme, par goût de l’aventure, par challenge martial, par nécessité réelle ou fantasmée de faire ses preuves… En cours de route, cependant, après une désormais célèbre tirade de Toshiro Mifune, la défense des paysans par les guerriers prend des allures de quête rédemptrice, car ils ont, au nom de leur caste, beaucoup à se faire pardonner. Ce pardon, si tant est qu’il finit par être acquis ou même qu’il doive l’être, se fait en tout cas au prix de sacrifices qui n’ont rien de grandiose, et n’est au bout du compte salué que par une indifférence dédaigneuse. C’est probablement là que se trouve le plus grand drame de ces samouraïs providentiels : même leur mort ne rend pas justice à leur héroïsme. On dit « qui vit par l’épée périra par l’épée », et il justement frappant de remarquer qu’aucun des samouraïs tués ne finit face à son adversaire. Leurs morts sont stupides, dérisoires, injustes, et ont une apparence insignifiante… En un mot, elles sont réalistes, et ce réalisme de la mort au combat est aussi glaçant qu’il est efficace en termes de symbole. De plus, une fois leur mission effectuée et les villageois en sécurité, il ne reste plus qu’à disparaître ; les bandits morts, la vie reprend son cours, mais c’est une vie faite de travail dans les champs, une vie dans laquelle le samouraï n’a pas sa place. Après avoir humanisé ses personnages pendant plus de 3h, Kurosawa les rappelle à leur triste réalité : une fois leur rôle accompli, ils n’ont plus qu’à retourner d’où ils viennent, dans le hors-champ, dans le néant. Amère victoire s’il en est, que ne vient nuancer qu’un élément de l’arrière-plan : le « faux » samouraï anonyme, qui aspirait à son élévation sociale, trouve enfin celle-ci dans la mort, puisqu’il est enterré aux côtés de ses frères d’armes, dont sa sépulture est indifférenciée.

Je mentirais si je prétendais pouvoir en parler correctement, mais il existe tout un tas d’articles (et sûrement même des bouquins) qui analysent Les Sept Samouraïs sous l’angle du contexte historique dans lequel il est sorti. Le Japon d’après-guerre, c’était la dèche, mais c’était aussi une grosse période de bouleversements sociaux, une page en train de se tourner dans la nécessité de prendre une direction nouvelle. Les samouraïs du film, en ce sens, peuvent être vus comme des reliques du passé qui perdent petit à petit leur statut et le respect qui leur est dû ; ils ont dévoué leur vie à une unique fonction, et lorsque cette fonction devient obsolète, ils n’ont plus qu’à disparaître sans faire trop de bruit. Si les Sept Samouraïs est si marquant, c’est aussi par cette forte impression de nostalgie lasse, ou de lassitude nostalgique, qui s’en dégage : plus qu’un film à la gloire des samouraïs, c’est une oraison funèbre permettant de faire leur deuil de manière appropriée.

les 7 Samouraïs de Akira Kurosawa
Synopsis :
Si les Sept Samouraïs est si marquant, c’est aussi par cette forte impression de nostalgie lasse, ou de lassitude nostalgique, qui s’en dégage : plus qu’un film à la gloire des samouraïs, c’est une oraison funèbre permettant de faire leur deuil de manière appropriée.
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