Critique : The assassin de Hou Hsiao Hsien

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L’histoire :

Chine, IXème siècle. Alors que la province de Weibo tente de se soustraire à l’autorité impériale, Nie Yinniang revient dans sa famille après de longues années d’exil. Son éducation a été confiée à une nonne qui l’a initiée, dans le plus grand secret, aux arts martiaux. Devenue justicière, elle a pour mission de tuer Tian Ji’an, son cousin, ancien amour, et nouveau gouverneur de Weibo. Nie Yinniang va devoir choisir : sacrifier l’homme qu’elle aime ou rompre pour toujours avec « l’ordre des Assassins ».

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Avec The assassin, Hou Hsiao Hsien relève le défi de réaliser un film de sabre, genre particulier qui est à la peine dans nos contrés depuis les succès rencontrés de Tigre et dragon en 2000, et du Secret des poignards volants en 2004. Depuis le cinéma asiatique poursuit une mue, surtout le cinéma chinois, vers l’occident et des réalisations de plus en plus hollywoodiennes, en abandonnant son particularisme, qui faisait son succès. Hou Hsiao Hsien, réalisateur taïwanais, décide de s’attaquer au film de sabre (wu xian pian), en ne cherchant pas à plaire (et vendre) à l’étranger mais cherchant plutôt les racines du genre et à le revitaliser à travers son sens de la mise en scène et sa façon toute particulière de conter les histoires.

Complexe au 1er abord, sur fond de conflits politiques et territoriaux, l’histoire de The Assassin repose sur un canevas de tragédie amoureuse relativement simple, le personnage de Shu qi devant assassiner son ex amant, interprété par le formidable Chang Chen . Hou Hsiao Hsien traite son scénario tout en ellipses, flash backs, ou plans hors contexte, il sera difficile de suivre pleinement les directions de l’histoire à la première vision. Le personnage de Shu Qi étant quasi muet, ce qui n’aide pas pour la lisibilité, et comprendre pleinement ses objectifs. Elle apparaît comme un fantôme avec sa beauté froide, mais la prestance de la comédienne taïwanaise agit complètement, et lorsque des scènes d’actions surgissent, Shu Qi impressionne.

Ici l’histoire sert donc plus de contexte pour la forme, car The assassin se veut avant tout une expérience sensorielle et contemplative.

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L’esthétique et le rythme marquent le spectateur à la découverte des premières minutes du film, à savoir des plans séquences, soit fixes, soit en mouvements lents, mais aussi des choix artistiques tranchés. Le film commence en noir et blanc, puis passera à la couleur, puis dans le champ des couleurs, il y aura des scènes particulièrement saturées, contrastées, d’autres désaturées, froides. Certaines séquences semblent tournées en lumière naturelle (dans les bois), des scènes d’intérieurs, elles, semblent éclairées seulement à la bougie.

La mise en image de The assassin se révèle particulièrement osée, à la fois déstabilisante car le mélange des colorimétries, mais aussi des ratios, pourraient faire sortir du film, mais ce traitement formel apporte une poésie et un onirisme peu commun dans ce type de film. Hou Hsiao Hsien expérimente de scène en scène, quasiment pas de gros plans, parfois l’action se situe presque « perdue » dans des plans larges, le réalisateur préférant nous suggérer et laisser place à l’imagination du spectateur.

Le rythme lent commun à l’œuvre du réalisateur est ici bousculé par quelques scènes de combats percutantes, mais l’intérêt de The assassin n’y réside pas. L’important ici est la contemplation, le travail sur l’espace, la lumière, toutes les scènes derrières les voilages sont absolument magnifiques. Les plans sur les paysages se veulent de véritables tableaux en mouvement, une foret de bois blanc, les hauteurs d’une montagne, un lac embrumé, à chaque plan, on sera surpris par la beauté simple et magnifiée de la nature par Hou Hsiao Hsien.

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En conclusion, Hou Hsiao Hsien ayant obtenu le prix de la mise en scène à Cannes en 2015, relève son défi de réinventer le film de sabre chinois avec un paradoxe : le vider de l’action pour le porter vers l’onirisme. Pour les amateurs du genre, ils risquent fortement d’être déçus car les combats seront peu présents. Pour le public non initié, The assassin sera possiblement une porte d’entrée vers ce genre de film, tout en sachant que ce traitement est unique. On pourrait rapprocher The assassin de Sword identity de Xu Haofeng qui se voulait aussi une proposition à part de wu xian pan, plus philosophique sur les arts martiaux. The assassin mérite d’être découvert pour l’expérience qu’il entraine, car rares sont les films aussi beaux et maîtrisés. Bref, si vous l’avez raté en salles, attendez sa sortie Bluray et dvd pour cet été et courrez l’acheter, car il s’agit d’un film qu’on aura plaisir à revoir pour identifier les différents niveaux de lecture.