Sonny Chiba et Meiko Kaji à l’honneur chez le Chat qui fume

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Le Castagneur, la captive aux yeux sombres et le chat fumant

Fruit de l’association entre deux mordus de cinéma bis, Le Chat qui Fume s’est petit à petit taillé à grands coups de griffes une place de choix au sein du club des éditeurs indépendants. Gialli, blaxploitation, érotisme ou films d’horreur, depuis plus d’une quinzaine d’années, le matou s’emploie à déterrer pépites oubliées et autres curiosités du cinéma de genre. Une liste déjà bien fournie qui s’est enrichie il y a peu de deux sagas incontournables du cinéma japonais des années 70, la série La Femme Scorpion et la trilogie Street Fighter.

Bien que son catalogue se compose pour l’essentiel de films américains et européens, Le Chat qui fume n’en délaisse pas pour autant le reste du patrimoine cinématographique mondial, et notamment asiatique.

Après la trilogie « kaijuesque » Majin, le diptyque horrifico-gore Evil dead trap ou encore le film engagé Bayan Ko réalisé par Lino Brocka, le plus célèbre des cinéastes philippins, c’est au tour de la trilogie Street Fighter et de la série La Femme Scorpion, toutes deux produites par la Toei, de bénéficier d’une sortie en format bluray.

L’occasion de (re)découvrir ces deux sagas cinématographiques cultes, qui étaient déjà sorties en vidéo sous nos latitudes dans la seconde moitié des années 2000 ; respectivement chez HK Vidéo et Pathé Films.

Adapté d’un manga publié dans les pages du magazine Big Comic, spécialisé dans les seinens, le premier volet de la série La Femme Scorpion, sorti en 1972, se pose d’emblée comme une synthèse de plusieurs sous-genres du cinéma d’exploitation ; qui entame alors son âge d’or. A la fois rape and revenge, women in prison et pinku eiga, le film retrace la descente aux enfers de Nami Matsushima, alias Scorpion[1], et son odyssée vengeresse.

Trahie par Sugimi, un policier véreux qui l’avait séduite dans l’unique but de se servir d’elle comme indic, la jeune femme est condamnée et incarcérée dans une prison de haute sécurité après avoir tenté, en vain, de trucider ce dernier. Pour le matricule 701, c’est le début d’un long calvaire.

Entre les sévices infligés par des gardiens aussi pervers que sadiques et les agressions de la part des autres détenues, celle-ci ne devra son salut qu’à sa hargne et son irrépressible désir de vengeance. 

Ayant réchappé plusieurs fois à la mort et tenu en échec les assassins envoyés par son ancien amant, Nami, que l’on surnomme désormais Scorpion en raison de sa férocité et de son tempérament irréductible, parvient finalement à s’évader. La fugitive va alors se lancer sur les traces de l’homme qu’elle avait aimé jadis, bien décidée à le faire payer lui ainsi que tous ceux qui ont eu le malheur de s’en prendre à elle.

Premier film du réalisateur Shun’ya Itō, qui signera aussi les deux opus suivants, le long-métrage donne la vedette à Meiko Kaji qui, d’actrice bankable, accèdera au rang d’icône du cinéma nippon à la faveur du succès que rencontreront les épisodes succesifs ainsi que celui du film de Toshiya Fujita sorti en 1973 Lady Snowblood, dans lequel elle interprète également le rôle-titre.

Une consécration qui doit beaucoup à l’aura ténébreuse dégagée par la comédienne, avec sa silhouette longiligne tout de noire vêtue, ses cheveux de jais ainsi que son regard glacial et perçant lui conférant une allure quasi spectrale, conforme à son rôle d’ange de la mort.

Au fil des épisodes, la belle fera plus d’aller-retours en prison que Patrick Balkany.

En 1976, la série a droit à un reboot suite à la décision de Meiko Kaji de rompre son contrat avec la Toei, mécontente du remplacement de Shun’ya Itō et du nombre un peu trop élevé à son gout de scènes où elle apparait déshabillée.

C’est la comédienne Yumi Takigawa, l’héroïne outragée et martyrisée du très licencieux et blasphématoire Le Couvent de la bête sacrée, mètre-étalon de la nunsploitation, que l’on avait en outre pu voir chez Kinji Fukasaku, qui est désignée pour reprendre le rôle de Nami Matsushima dans le cinquième volet de la saga, La Nouvelle Femme Scorpion: Prisonnière 701.

Un choix de casting qui ne fera pas long feu.

En effet, l’année suivante, une suite voit le jour, La Nouvelle Femme Scorpion: Cachot X, mais sans Yumi Takigawa ; cette dernière cèdant sa place à Yōko Natsuki qui, la même année, jouait aux cotés de Sonny Chiba dans le film Karate for life.

Scorpion fera son retour sur les écrans dans les années 90 avec la production de quatre nouveaux épisodes entre 1991 et 1998, mais nous ne nous appesantirons pas dessus dans la mesure où seule l’hexalogie originale est incluse dans la présente intégrale.

A ne pas confondre avec le film de Steven E. de Souza sorti vingt ans plus tard, adaptation de la saga vidéoludique du même nom, dans lequel feu Raúl Juliá volait la vedette à JCVD, The Street Fighter se veut une réponse de la part de la Toei aux films d’arts martiaux hongkongais qui font alors un tabac au box-office, portés par l’engouement planétaire autour de Bruce Lee et le vide laissé par sa mort prématurée en 1973.

Le long-métrage a pour protagoniste Takuma Tsurugi, un héros sévèrement burné incarné par le regretté Sonny Chiba, qui nous a quitté il y a bientôt deux ans de cela, que les studios présentaient volontiers à l’époque comme le rival nippon du Petit Dragon.

Expert en karaté et mercenaire aguerri, Tsurugi est toujours d’attaque lorsqu’il s’agit d’exécuter un contrat. Réputé impitoyable, il s’est fait un nom dans le milieu en semant la mort sur son passage.

Pourtant, suite à son refus de kidnapper l’héritière d’un magnat du pétrole pour le compte des Cinq Dragons, un syndicat du crime hongkongais, notre combattant de choc devient la cible de l’organisation.

Bien que le premier volet de trilogie n’ait, à l’époque, pas eu les honneurs d’une distribution en France, il en fut autrement pour sa suite, The Return of the Street Fighter, qui déboule dans nos contrées en 1977, trois en après sa sortie au Japon, rebaptisé pour l’occasion Autant en emporte mon nunchaku. Voui, voui, vous avez bien lu…

Fait assez rare pour être souligné, le film avait même bénéficié d’un doublage en créole, réalisé sous la direction du comédien et metteur en scène martiniquais Gabriel Glissant.

Hélas, ou pas, ni l’une ni l’autre de ces versions ne sont incluses dans le coffret.

Si les deux séries produites par la Toei remportent un beau succès dans les salles japonaises, à l’étranger, l’accueil qui leur ait réservé s’avère en revanche plus confidentiel ; cantonné à un cercle restreint d’amateurs de péloches venues d’Asie, dont un certain Quentin Tarantino qui ne manquera pas de s’en inspirer et de leur rendre un vibrant hommage par la suite.

On retrouve déjà une référence aux exploits ultra-violents de Sonny Chiba dans le film de Tony Scott sorti en 1993 True Romance, tiré d’un scénario écrit par Tarantino ; l’intéressé ayant vendu le script pour financer la réalisation de son premier long-métrage. C’est en effet dans un cinéma où est projetée la trilogie signée Shigehiro Ozawa que Clarence Worley, sorte d’alter-ego du réalisateur de Pulp Fiction, fait la rencontre d’Alabama, une call-girl dont il tombe amoureux et qui va l’entrainer dans une série de péripéties aussi trépidantes que périlleuses.

Le cinéaste récidivera et poussera l’hommage encore plus loin avec son dyptique Kill Bill, véritable déclaration d’amour aux films asiatiques et plus généralement au cinéma d’exploitation des années 70, en confiant le rôle d’Hattori Hanzō, le forgeron rangé des voitures, à Sonny Chiba.

Habitué à piocher dans les bandes-originales de ses films fétiches pour composer la play-list de ses propres réalisations, il incorporera d’autre part la chanson Urami Bushi à celle du second volet. Une ballade emprunte de mélancolie, issue de la série La Femme Scorpion et interprétée par Meiko Kaji.

Pour ce qui est des suppléménts, le félin n’a pas chômé. Aux traditionnelles bande-annonces viennent s’ajouter diverses featurettes donnant la parole à une brochette de spécialistes que voici :

  • Yves Montmayeur, le documentariste à qui l’on doit la série en 6 épisodes Kung-fu Révolution(s) diffusée sur Arte en 2021 ainsi que le court-métrage documentaire Melody Kaji présent dans le coffret dans lequel il s’intéresse à cette autre facette de la carrière de Meiko Kaji. 
  • Clément Rauger, journaliste aux Cahiers du Cinéma et programmateur cinéma à la Maison de la Culture du Japon à Paris, retrace durant plus d’une heure le parcours cinématographique de l’actrice, qu’il avait rencontré pour un entretien publié il y a deux ans dans les pages de la revue.
  • Fin connaisseur des cinématographies d’Extrême-Orient et du cinéma populaire, Julien Sévéon passe quant à lui en revue la filmographie du réalisateur Shun’ya Itō.
  • Autre ancien de Mad Movies, le scénariste et auteur de bande-dessinées Fathi Beddiar, présent dans les bonus des deux coffrets, esquisse pour sa part un portait de Sonny Chiba.

Attention, éditeur indépendant oblige ; le nombre d’exemplaires est limité à 1000 pour les deux coffrets, à l’instar d’une bonne partie des titres proposés par Le Chat qui fume. Afin d’éviter une éventuelle déconvenue, mieux vaut prendre les devants avant que le stock ne soit épuisé. A bon entendeur…

On espère en tout cas que le succès soit au rendez-vous et que cela incite l’éditeur à sortir une intégrale Sister Street fighter, le spin-off de la trilogie Street Fighter, un de ces quatre. Réalisé dans la foulée des trois films de la série principale, sortis à quelques mois d’intervalles à peine, le premier opus précèdera toutefois son ainé dans les salles obscures de France, assorti lui aussi d’un titre que l’on qualifiera pudiquement de pittoresque, La Karatigresse aux mains d’acier,

En guise de conclusion, deux petites anecdotes pour briller en société.

A sa sortie sur les écrans américains, The Street Fighter est le premier film à se voir classé X en raison uniquement de sa violence débridée et non pour la présence de contenus à caractère sexuel, à l’exception peut-être de la scène où Sonny Chiba arrache le service trois pièces d’un violeur à mains nues.

Parmi la panoplie de techniques dévastatrices et meurtrières dont dispose le karatéka figure entre autres le X-ray punch, apparu pour la toute première fois dans ce même film et que l’on retrouvera par la suite dans de nombreux mangas et animes, notamment One Piece ou Jojo’s Bizarre Adventure pour ne citer qu’eux, ainsi que dans le film hongkongais Story of Ricky ou encore la série de jeux vidéo Mortal Kombat, dont il constitue l’un des coups de grâce les plus emblématiques.

Intégrales La Femme Scorpion et The Street Fighter disponibles à l’achat sur le site du Chat qui Fume


[1] « Sasori » en japonais