Interview Dorian Coulon, animateur (L’Attaque des Titans, Bleach, One Piece…)

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L’Attaque des Titans, Bleach, Jujutsu Kaisen, One Piece, My Hero Academia ; à seulement 24 ans, le ligérien Dorian Coulon compte déjà à son actif plusieurs séries phares de l’animation japonaise. Passé du football freestyle à la tablette graphique, ce dernier a su en peu de temps se faire une place parmi la génération montante d’animateurs freelance dont les studios nippons ne peuvent désormais plus se passer. Rencontre avec l’un des animateurs français les plus en vue.

Comment vous êtes-vous retrouvé à travailler pour différents studio d’animation japonaise parmi les plus réputés ?

Tout a commencé avec Bleach.

Comme beaucoup, j’étais assez frustré par la fin prématurée de l’anime, qui faisait complètement l’impasse sur le dernier arc du manga (soit les tomes 55 à 74 de la série, ndlr). Je trouvais ça vraiment dommage. J’ai donc rejoint un groupe de fans désireux de réparer cette injustice en recréant par eux-mêmes plusieurs scènes emblématiques de la partie manquante. Dans le lot, il y avait quelques professionnels. Pendant trois ans, j’ai ainsi pu me faire la main avant de sauter le pas et de me lancer comme freelance.

Mon entrée dans le milieu de la japanimation s’est faite par le biais de Twitter. Je postais des layouts1 sur mon compte. C’est comme ça que j’ai été repéré par un studio d’animation japonais qui a décidé de faire appel à mes services dans la foulée.

Fan animation Bleach. Crédits Dorian Coulon. Instagram

Vous n’avez pas fait d’école d’animation ?

Non, aucune. J’ai tout appris en autodidacte (Rires).

Comment se déroule habituellement le processus de réalisation d’une séquence ?

Là encore, ça passe d’abord par Twitter.

Le studio me contacte directement pour me demander si je souhaite participer à la réalisation de tel ou tel épisode. En cas de réponse positive, on m’envoie le story-board.

La plupart du temps, j’ai la liberté de choisir mes cuts, c’est l’un des avantages d’être en freelance. Si toutefois ce n’est pas possible, je les sélectionne un peu au hasard. Une fois l’attribution des tâches terminée, le seisaku, autrement dit le chargé de production, qui sert d’intermédiaire entre le studio et moi, m’impose une deadline à respecter.

La première étape du processus consiste à réaliser le layout, en d’autres termes l’animation « brute ». Ma mission est de donner vie au story-board tout en veillant à suivre les consignes données par le studio.

Layout L’Attaque des Titans Episode 80. Crédits Dorian Coulon/Mappa. Instagram.

J’envoie ensuite mes dessins pour qu’ils soient corrigés. Ces corrections sont assurées par des animateurs aguerris, qui ont en général plus de quarante ans. Ils vont faire en sorte de tout homogénéiser avant de me renvoyer une version corrigée, que je vais à mon tour retravailler pour qu’elle soit nickel.

Moi, je m’occupe des gengas, c’est-à-dire les « animations-clés ».

Bien que je ne réalise pas l’entièreté de la séquence, je vais en quelque sorte donner le tempo au second animateur, l’in-betweener, qui se charge quant à lui des frames intermédiaires et des dessins finaux en prenant soin de fluidifier les mouvements.

Je demande habituellement aux in-betweeners avec qui je suis amené à collaborer de faire simple. Entre trois et cinq intervalles suffisent, je trouve que le rendu y gagne en fluidité.

Quid du matériel ?

En freelance, la quasi-totalité des achats de matériels sont à la charge de l’animateur.

Le studio nous fournit quelques softwares pour le partage des story-boards ou des chara-designs, mais ça s’arrête là.

Tout le reste, le P.C, la tablette graphique, les autres logiciels d’animation, j’ai dû les payer de ma poche (rires).

Quelles sont les types de scènes sur lesquelles vous préférez travailler ?

Ça varie selon mon humeur du moment.

Parfois, je préfère travailler sur les scènes d’action puis, la fois suivante, je vais plutôt privilégier l’acting 2 ou bien me contenter de scènes d’animations plus classiques si je n’ai pas envie de me prendre la tête.

Extrait One Piece Episode 1062. Crédits Dorian Coulon/Pierrot Co.,Ltd. Instagram

Outre le choix des scènes, de quel degré de liberté disposez-vous au cours des différentes phases de la production ?

Tout dépend du studio.

Pour L’Attaque des Titans par exemple, Mappa demande à ce qu’on suive les directives du staff à la lettre.

Quand j’ai l’envie et la possibilité d’apporter une modification ou de rajouter un élément quelconque, je demande directement au directeur de l’animation en lui envoyant un DM. Si jamais il ne me suit pas sur Twitter, j’essaie malgré tout de le contacter via le seisaku même si ça doit prendre plus de temps.

Quelles sont vos références en matière d’animation ?

Pour les FX, je citerai Satoshi Sakai (L’Attaque des Titans, Gintama, One Piece : Gold, ndlr) et Hideki Kakita (Evangelion : 2.0 You can (not) advance, Mindgame, Steamboy, ndlr) qui, à mes yeux, n’a pas son pareil quand il s’agit de mettre en image des explosions et de la fumée.

En terme d’acting, j’aime particulièrement ce que fait Hiroyuki Okiura (Chara-designer sur Ghost in the shell ainsi que Jin-Roh, la brigade des loups et réalisateur de Lettre à Momo, ndlr). Je suis assez admiratif de son rendu du mouvement, à la fois lourd et très réaliste, en particulier lors des scènes d’actions. C’est selon moi ce qu’il y a de plus complexe en matière d’animation. Dans le même registre, il y a aussi Nozomu Abe (Demon Slayer, Naruto, Naruto Shippuden, Sword Art Online, ndlr) dont je m’inspire pas mal.

Pour ce qui est du travail sur les ombres, je dirais Hiroto Nagata (Fireworks, Magia Record : Puella Magi Madoka Magica, March comes in like a lion, ndlr).

Vous avez participé à la réalisation du film Black Clover : L’Epée de l’empereur-mage. Y a-t-il eu des différences en terme de directives ou des délais par rapport à ce dont vous aviez l’habitude pour les séries d’animation ?

En règle générale, les long-métrages sont divisées en plusieurs parties durant la production. Une équipe va faire 30 minutes, l’autre 20 minutes et ainsi de suite.

Le fonctionnement est plus ou moins le même que pour un épisode d’anime classique.

En ce qui concerne Black Clover, les délais imposés par le Studio Pierrot étaient sensiblement les mêmes que ceux auxquels j’étais habitué sur l’anime One Piece.

Gengas Black Clover : L’épée de l’Empereur-Mage. Crédits Dorian Coulon/Pierrot Co.,Ltd. Twitter.

La seule différence se situe au niveau de la rémunération, qui était plus élevée qu’à l’accoutumée.

Gengas Black Clover : L’épée de l’Empereur-Mage. Crédits Dorian Coulon/Pierrot Co.,Ltd. Twitter.
Layout et gengas Black Clover épisode 167. Crédits Dorian Coulon/Pierrot Co.,Ltd. Twitter.

Vous avez également collaboré avec le studio français Ankama (Dofus, Mutafukaz, Wakfu, ndlr). Son fonctionnement diffère-t-il de celui des studios nippons ?

Il faut savoir qu’Ankama s’inspire des méthodes qui ont cours au sein des studios japonais. Je n’étais donc pas trop dépaysé de ce côté-là, ce qui n’aurait peut-être pas été le cas sur une autre production.

Quelques différences subsistent malgré tout.

Pour citer un exemple, les arrière-plans sont déjà dessinés sur les layouts ; je n’ai pas à m’en charger.

A l’inverse, les gengas ne font l’objet d’aucune correction de la part du staff. Je suis seul aux manettes durant cette étape de la production. Si à l’arrivée le dessin est foiré, je ne peux m’en prendre qu’à moi-même.

Autre détail non négligeable, on est sur du 25 FPS3 comme c’est le cas au Japon et non pas 24. La première fois, je me suis fait avoir.

J’ai réussi à rattraper le coup après m’en être rendu compte, au prix de quelques sueurs froides (Rires).

Aimeriez-vous un jour travailler sur autre série française voire même un long-métrage d’animation français ?

Pourquoi pas, oui.

Du moment que j’ai l’opportunité d’en apprendre davantage et de m’améliorer en tant qu’animateur, je suis ouvert à toutes les propositions ; qu’elles viennent des Etats-Unis, de France, du Japon ou de Corée.

Quelle est la réalisation dont vous êtes le plus fier à ce jour ?

La séquence que j’ai réalisée pour l’épisode 1033 de One Piece, celle du combat opposant Luffy à Kaido. J’ai vraiment adoré travaillé dessus.

Extrait One Piece Episode 1033. Crédits Dorian Coulon/Pierrot Co.,Ltd. Instagram.

Comme j’étais en phase avec le directeur de l’animation, j’ai eu les mains libres pour apporter de nombreuses modifications au story-board et faire les choses à ma façon.

Je n’avais jamais assumé la réalisation d’autant de cuts auparavant.

C’était un vrai challenge, mais tout ce travail en valait la peine.

Pour preuve, de toutes les scènes de l’épisode, c’est celle qui a été le plus plébiscité par les internautes sur Sakugabooru4; j’en suis d’autant plus fier.

Extrait One Piece Episode 1015. Crédits Dorian Coulon/Pierrot Co.,Ltd. Youtube.

Et celle qui vous a donné le plus de mal ?

(Avertissement : Spoilers L’Attaque des Titans Saison Finale, ndlr)

Ce serait sans conteste l’une de L’Attaque des Titans.

Déjà, les designs sont ultra-complexes.

Par ailleurs, comme je l’expliquais un peu plus tôt, il n’y avait quasiment aucune marge de manœuvre ; on devait s’en tenir aux directives du studio. Si l’on ne suit pas scrupuleusement les indications qu’on nous donne, il y a de fortes chances que les animateurs du studio retravaillent entièrement la séquence derrière ; j’ai pu en faire l’expérience.

Dans ces cas-là, on se pose des questions, on se demande ce qu’on a mal fait. 

Travailler sur L’Attaque des Titans s’est avéré vraiment compliqué par moments, même si ça reste mon manga et mon anime préféré.

La scène où Eren déclenche le Grand Terrassement ne m’a pas posé trop de problèmes dans la mesure où il s’agissait essentiellement de FX comme des explosions, à l’inverse de celles provenant de l’épisode durant lequel Falco est pris en otage.

Extrait L’Attaque des Titans Episode 80. Dorian Coulon a contribué à la scène à partir de 0:27. Crédits Mappa. Youtube.

Pour celui-ci, on était vraiment sur un épisode de L’Attaque des Titans « à l’ancienne » avec les équipements tridimensionnels, etc… Le story-board comportait déjà les poses des personnages dessinées en rough, que l’on devait reproduire à l’identique.

Difficile de tirer une quelconque fierté du travail accompli lorsqu’on se trouve dans l’impossibilité d’y apposer sa patte et qu’on se contente de suivre une feuille de route.

Ceci dit, il faut bien garder à l’esprit que le studio fait appel à nous avant tout pour seconder ses animateurs; on n’est pas là pour flex.

Illustration L’Attaque des Titans. Crédits Dorian Coulon/Mappa. Twitter.

Certaines scènes font l’objet de quelques remaniements à l’occasion de la sortie en DVD/Bluray. Fait-on appel à vous durant cette étape de la post-production ?

Non pas du tout. Je crois même que c’est encore une autre équipe qui se charge de ça.

Sur quelles séries avez-vous travaillé dernièrement ?

Outre Jujutsu Kaisen, j’ai bossé sur la dernière saison de Bleach : Thousand-year Blood War.

Layouts et gengas Jujutsu Kaisen Episode 44. Crédits Dorian Coulon/Mappa. Twitter.

Layouts et gengas Jujutsu Kaisen Episode 44. Crédits Dorian Coulon/Mappa. Twitter.

On pourra également me retrouver au générique de la saison 4 de Wakfu ; dont j’ai rejoint la production en cours de route.

J’ai participé à la réalisation de plusieurs épisodes à la suite mais je ne peux pas vraiment en dire plus étant donné que la diffusion n’a pas encore commencé (Le premier épisode est annoncé pour le 9 février sur la plateforme de France TV, Okoo, ndlr).

Bande-annonce Wakfu Saison 4. Crédits Ankama Animations. Youtube.

Quels conseils donneriez-vous à des aspirants animateurs ?

Ne pas privilégier l’animation au détriment du dessin. Le dessin est peut-être plus important que l’animation en elle-même, en particulier dans l’industrie de l’animation japonaise.

Les dessins sont extrêmement travaillés, il ne faut rien négliger.

Prenons le travail sur les ombres par exemple. Il faut être capable de placer correctement les ombres en fonction de la position et de l’intensité de la source de lumière.

Savoir faire de bonnes perspectives et de beaux décors. Quand bien même les animateurs retravailleront tout ça de leur côté, il faut que le matériau dont ils disposent à la base soit solide afin de leur faciliter la tâche et de faire en sorte qu’ils aient le moins de choses à corriger.

Une anecdote à nous raconter pour conclure cet entretien ?

L’été dernier, je suis parti au Japon quelques semaines pour les vacances mais une fois là-bas, je n’ai quasiment fait que travailler (rires). A ce moment-là, j’étais en contrat avec deux studios différents, Mappa et le studio Pierrot, dont j’ai visité les locaux.

Initialement, je devais bosser sur trois épisodes mais Mappa m’a proposé de réaliser une séquence pour l’épisode 35 de Jujutsu Kaisen en plus de tout le reste.

Layouts et gengas Jujutsu Kaisen Episode 35. Crédits Dorian Coulon/Mappa. Twitter.

Dans un premier temps, j’ai répondu que je préférais décliner leur offre à moins qu’on ne fasse monter les taros.  

J’ai voulu bluffer en leur demandant un tarif qui, à mes yeux, semblait exorbitant ; persuadé qu’ils n’accepteraient jamais. Et ils ont accepté.

Je me suis donc retrouvé à devoir honorer cette commande supplémentaire malgré la surcharge de travail.

Au final, j’ai réussi à tenir les délais mais ça n’a pas été de tout repos (rires)


  1. Croquis préparatoires réalisés à partir du story-board, généralement accompagnés
    d’indications pour faciliter le travail des animateurs. La tâche du layoutartist consiste notamment à décomposer les plans du story-board en éléments distincts (Personnages en mouvement, éléments visuels comme la fumée, la pluie ou le sang, décors, etc). ↩︎
  2. Branche de l’animation dévolue aux expressions faciales et plus généralement à l’ensemble du langage corporel des personnages. ↩︎
  3. Frames per second : Images par seconde. Unité de mesure correspondant au nombre d’images enregistrées ou affichées en une seconde. La fréquence standard est fixée à 24 images par seconde pour le cinéma ainsi que l’animation. ↩︎
  4. Blog où les animateurs, professionnels ou amateurs, postent leurs différents travaux. Page Sakugabooru Dorian Coulon. ↩︎