Critique : Ninja Scroll de Yoshiaki Kawajiri et Kevin Seymour

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Le film culte?

À ce qu’il se dit, Ninja Scroll serait un grand classique du cinéma d’animation, un incontournable. Mieux encore : il ferait partie de cette petite poignée de film (aux côtés d’Akira, Ghost in the Shell et des Miyazaki) que même les gens qui ne s’intéressent pas particulièrement au cinéma d’animation connaissent.

Il serait alors en quelque sorte un porte-parole du genre tout entier, une porte d’entrée vers un nouveau monde pour les néophytes.

Mais une fois qu’on a vu Ninja Scroll, on comprend pourquoi l’animation a parfois une mauvaise image. On comprend même que les amateurs qui le voient n’aient pas franchement envie d’en savoir plus sur le cinéma d’animation.
Ok, le film a été un joli succès commercial. Ok, il gagné quelques prix dans des festivals occidentaux. Et c’est indéniable que son réalisateur, Yoshiaki Kawajiri, est une pointure dans le milieu. N’empêche que, si on oublie deux minutes le statut de film culte que lui ont donné les années, force est de constater que Ninja Scroll est un ratage total. Il a été porté aux nues par une bande de brutes qui sont restées pantoises devant la plastique des personnages féminins, le gore des scènes d’actions et l’exotisme du folklore japonais, mais qui ne se sont pas posé la question de savoir si ces trucs-là suffisaient à faire un bon film. La réponse est non, évidemment.

Ca raconte quoi ?

L’histoire de Jubei, un ronin solitaire et taciturne au passé mystérieux, sabreur hors-pair qui cache sous ses airs retors un cœur d’or et un infaillible sens de l’honneur et de la morale. Un personnage qu’on a déjà vu des centaines de fois, et qui a perdu sa profondeur à force d’être trop utilisé. Ici il est employé sans nuances, sans variations, il agit et parle exactement comme on s’attend à ce qu’il le fasse, sans jamais nous surprendre, et donc sans jamais nous intéresser. Assez rapidement, il rencontre un petit vieux à la peau fripée qui bosse pour le gouvernement et tente de contrecarrer les plans diaboliques du (très) méchant shogun des ombres, dont le bras droit n’est autre que le vieil ennemi juré de Jubei… le monde est vraiment tout petit. Comme le scénar manquait de féminité, ils sont rejoints dans leur quête par Kageru, une pulpeuse ninja qu’une malédiction tragique condamne à ne pas connaître l’amour ; elle tombera évidemment amoureuse de notre héros, comme on s’y attendait. Et ces personnages auront le temps de faire connaissance, puisqu’avant d’arriver au shogun des ombres, ils doivent d’abord se débarrasser des huit démons qui le protègent.

À partir de là, le film se déroule comme un mauvais jeu de combat : Jubei tue un démon, puis un autre, puis un autre, et ainsi de suite ; à chaque fois le démon est plus dangereux que le précédent, et chacun a ses caractéristiques spéciales. Jubei est en difficulté, puis il trouve le point faible de son ennemi et s’en débarrasse avec l’aide de ses amis. On reproduit ce schéma huit fois de suite, pour arriver au boss final, qui a un pouvoir encore plus terrible que les autres (il est immortel), mais notre héros sans peur et sans reproche arrive quand même à lui faire la peau, parce qu’au bout du compte c’est lui le meilleur.
Entre-temps Kawajiri nous aura calé deux ou trois répliques en carton-pâte pour faire croire à une intrigue politique et à une romance sentimentaliste à deux balles, mais il n’arrive pas pour autant à cacher la misère : son film est un amalgame de clichés recouvert de scènes d’action et de sexe pour que l’adrénaline empêche les neurones de se rendre compte qu’il est complètement bidon.

Du point de vue purement esthétique, on retrouve bien les caractéristiques habituelles du réalisateur : des hommes au corps musculeux, des femmes aux traits longilignes à la plastique siliconée, des visages toujours anguleux et peu expressifs, mais une animation fluide qui a le charme un peu kitsch des productions à l’ancienne, dont Kwajiri est un fervent défenseur.

Conclusion:

Ninja Scroll est donc une série B d’animation complètement foireuse qui s’est malheureusement retrouvée sous le feu des projecteurs parce que des critiques non-spécialistes de l’animation ont décidé de parler de lui. Le pauvre s’est alors retrouvé le porte-parole boiteux d’un cinéma (et d’un réalisateur) qui a bien mieux à proposer. Tragique.

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