LUFF 2020 – Coup d’œil sur la sélection Japanese 8mm Madness

Découverte d'un cinéma punk japonais, irrévérencieux et libre

Le Lausanne Underground Film & Music Festival (LUFF) qui met cette année à l’honneur le réalisateur japonais Masashi Yamamoto ouvre ses portes aujourd’hui. En plus de la rétrospective consacrée au cinéaste, qui nous permettra de parler de quelques uns de ses films dans les jours à venir, le LUFF 2020 propose une sélection « Japanese 8mm Madness » qui reprend une collection de films japonais exhumés et remasterisés, datant des années 70 et 80. Diffusés dans plusieurs festivals depuis 2016, ces titres quasiment introuvables nous sont passés entre les mains. L’occasion donc pour nous de vous en parler en revenant sur nos coups de cœur et ceux qui nous ont moins plu, d’autant plus que l’on retrouve là quelques cinéastes aujourd’hui bien connus des amateurs de cinéma japonais.

  • Isolation of 1/880000 (1977) de Gakuryu Ishii

Il y a une douceur qui se dégage de ce récit sur la vie d’un étudiant handicapé, isolé, seul dans une société qui l’ignore largement. Obsédé par les concours, on le voit se perdre dans ses révisions, seul face à ses résultats, errant dans les rues sur fond de musique classique. Le personnage raconté par Gakuryu Ishii est solitaire, en marge d’une société hyperactive qui ne lui donne pas la moindre chance de s’exprimer.

Alors le cinéaste se sert de lui pour raconter la lente déchéance d’une personne isolée par une société compétitive, où la réussite au concours universitaire est le seul moyen d’exister socialement : Gakuryu Ishii est particulièrement critique du système japonais, poussant même son argumentaire à l’extrême en montrant un jeune homme qui finit par tomber dans une violence terrible. Si la mise en scène est parfois hésitante, la passion du réalisateur se révèle dans chaque détail de son moyen métrage.

  • Man’s Flower Road (1987) de Sono Sion

Pendant les quelques 1h50 que durent ce film de jeunesse de Sono Sion, on découvre un film erratique, presque hystérique où une bande de jeunes en poursuit d’autres pour leur faire du mal. La caméra à l’épaule tremble et n’arrive parfois pas à suivre l’action, plongeant les spectateurs dans une folie pure. Puis, la suite est à l’opposé, les choses reprennent un calme presque pesant : Sono Sion joue désormais son propre rôle, il filme sa famille avec innocence. Sans liant, son film relève de l’expérimentation d’un apprenti réalisateur un jour d’été dans sa famille. 

Man’s Flower Road en dit beaucoup sur le style du cinéaste désormais bien connu, à une époque où il n’était encore qu’un jeune homme. Son naturel ne l’a jamais vraiment quitté, préférant souvent exprimer des pensées radicales dans ses films plutôt que de se limiter. Dans ce film de jeunesse, il n’a guère d’intérêt pour la moindre idée de cohérence, on se pose même la question de savoir si ce film avait vocation à sortir du cadre intime. Mais peu importe, on vit là une des premières expérimentations de celui qui est devenu un des réalisateurs les plus importants du cinéma japonais. C’est évidemment une expérience passionnante pour les fans du cinéaste.

  • High School Terror (1979) de Tezuka Makoto

Tezuka Makoto, qui a tout récemment adapté au cinéma le manga Barbara des son père Tezuka Osamu, explorait en 1979 à 18 ans le cinéma d’horreur.

Dans une classe de cours, il raconte l’aventure horrifique d’une lycéenne qui travaille tranquillement avant d’être distraite par un environnement inquiétant : ce qui est au départ une mauvaise blague d’une camarade se transforme vite en horreur, littéralement. Un court-métrage intriguant et particulièrement malin sur son utilisation des zones d’ombre, plongeant la lycéenne dans une horreur terrible. Loin d’être la plus grande réussite de cette sélection, High School Terror intrigue tout de même par sa proximité avec le monde du manga, notamment dans sa recherche du plan fixe qui reste en mémoire. Je pense notamment à cette image de la lycéenne aux yeux complètement blancs qui nous hante encore après le visionnage. Plus intéressant pour ce qu’il raconte sur son auteur et l’influence du lien paternel sur son travail, ce court métrage est peut-être le plus faible de la sélection.

  • Tokyo Cabbageman K (1984) de Akira Ogata

Akira Ogata raconte un homme dont le visage a été transformé en chou, qui tente de trouver sa place dans la société. C’est un film punk dans sa plus pure essence, monté comme un clip vidéo avec une énergie débordante. Une énergie qui peut d’ailleurs rapidement nous submerger : le visionnage est intense et fastidieux. Le moyen métrage de d’une heure est éprouvant mais pourtant fascinant, avançant au rythme de la musique autant entre du classique (quand le héros découvre l’amour) que du punk. Un concept génial. 

  • The Adventures of Denchu-Kozo (1977) de Shinya Tsukamoto

Shinya Tsukamoto imagine l’histoire improbable d’un garçon harcelé au lycée à cause… D’une barre en métal qui lui pousse dans le dos. Sauvé par une certaine Momo, il se retrouve dans un futur dystopique où il devient le héros d’une histoire encore plus improbable. 

Versé dans l’horreur, Shinya Tsukamoto confie une œuvre quasi-psychédélique avec une imagination sans limite. Les jeux de couleur, entre rouge et vert, alimentent l’imaginaire du cinéaste. C’est une œuvre surprenante -mais elles le sont toutes dans cette sélection- qui se distingue toutefois amplement des autres pour sa manière d’aborder l’horreur, d’une manière très stylisée avec son gros travail sur les effets spéciaux. Avec les moyens du bord, il donne vie à une histoire qui ne se fixe aucun interdit. 

  • Happiness Avenue (1986) de Katsuyuki Hirano

Difficile de ne pas voir une certaine filiation entre Happiness Avenue de Katsuyuki Hirano et Man’s Flower Road de Sono Sion, tous deux produits la même année. Sono Sion y joue d’ailleurs le rôle principal, dans ce film qui raconte un personnage nommé Lovelorn Masahiro. Un homme qui cherche à assouvir tous ses désirs. Perversité ou simples effusions de joie, de colère, il est sans filtre dans une société qui où tout le monde se tient droit. 

On y voit, comme Man’s Flower Road de Sono Sion la même année, une grande énergie, un même cinéma brut et sans filtre, qui exprime des sentiments primaires tant par le biais de ses personnages que la manière d’utiliser la caméra. Happiness Avenue captive tout particulièrement grâce à cette succession d’événements sans jamais vraiment reprendre son souffle, dans une frénésie qui sent bon l’œuvre de jeunesse. 

  • Saint Terrorism (1980) de Masashi Yamamoto

Alors que le jeune Masashi Yamamoto n’en était encore qu’aux expérimentations, il s’essayait au thriller avec Saint Terrorism, où il raconte l’alliance de deux meurtriers, décidés à bouleverser Tokyo par leurs actes. 

Nihiliste, le film se sert de la musique d’Akemi Edo pour raconter une ville presque anéantie par des actes en dehors de toute morale. C’est, dans cette sélection de films underground d’une autre époque, celui qui est le plus posé : on sent déjà la volonté pour Masashi Yamamoto d’affirmer son style. Pourtant il raconte lui aussi la société japonaise avec beaucoup de colère, la dépeignant comme étouffante pour ses protagonistes. Mais il lui ajoute de manière encore plus terrible, avec la violence de ses personnages : des vols, des agressions, des meurtres, montrant un monde duquel on ne peut échapper. 

Si le film n’est pas le meilleur de son réalisateur, il est important tant il pose les bases de ce que sera plus tard sa filmographie. C’est, comme le film de Sono Sion dont nous parlions plus tôt, une sorte de note d’intention d’une filmographie qui n’en était encore qu’à ses balbutiements.