Critique : Wet Season de Anthony Chen

Date de sortie
19/02/2020
Réalisateur
Anthony Chen
Casting
Yeo Yann Yann, Koh Jia Ler, Christopher Lee, Yang Shi Bin
Pays
Singapour
Notre score
4

Anthony Chen se faisait connaître sur la Croisette il y a près de sept ans quand, au Festival de Cannes en 2013, il remportait le prix de la Caméra d’Or pour féliciter ses débuts surprenants avec son premier long métrage Ilo Ilo. Mais il a fallu être patient pour avoir de ses nouvelles, puisque ce n’est que fin 2019 qu’il présentait enfin son nouveau film en festival à Toronto. Wet Season est l’histoire d’une professeure de chinois à Singapour qui tente tant bien que mal de concilier la routine du quotidien et ses envies d’autre chose. Le film sort en salles en France ce mercredi 19 février 2020.

Synopsis (Epicentre Films) :
Des trombes d’eau s’abattent sur Singapour. C’est la mousson. Ling, professeur de chinois, tente depuis plusieurs années d’avoir un enfant mais son mari est de plus en plus fuyant. Alors que sa vie professionnelle et personnelle se fissure, son rapprochement avec un jeune étudiant va tout bouleverser…

Le cinéaste dévoile ses intentions dès la scène d’ouverture avec une arrivée au lycée à bord d’une voiture, celle de la professeure de chinois. Caméra embarquée sur le siège arrière, on ne découvre l’héroïne de son histoire que de trois-quarts dos alors qu’elle fait face à une route qu’elle emprunte tous les jours. C’est l’histoire d’une routine bien huilée, l’arrivée face au brouhaha du lycée alors qu’elle est seule et isolée dans sa voiture. La radio raconte les infos matinales, la pluie s’abat sur un environnement morne et sans couleur, à l’exception du rouge éclatant du drapeau singapourien. Nous voilà placé de manière intimiste dans le quotidien d’une femme qui semble invisible aux yeux de tous, mais qui tente tant bien que mal de donner un sens à sa vie.

Le personnage de la professeure est remarquablement écrit, interprétée par Yeo Yann Yann, elle est une femme malmenée par ses pairs : on entendra le proviseur dire qu’elle n’enseigne « que du chinois » (une matière qui semble mal considérée face aux sciences), tandis que ses étudiants sont eux bien peu intéressés par la langue. Au niveau personnel, son mari est absent et ne lui offre que peu d’attention, la poussant à chercher quelque chose de différent et de nouveau au moment où elle se retrouve par la force des choses à donner des cours particuliers à l’un de ses élèves, le seul intéressé par sa matière. Une relation touchante avec le lycéen incarné par Koh Jia Ler, les deux êtres n’ayant pas grand chose en commun si ce n’est de partager une relation fusionnelle portée par le même rêve d’aventure. On aurait aimé toutefois que le réalisateur évite de tomber dans une facilité narrative en fin de récit, où la beauté du film qui passait par une distance certaine entre les deux personnages se voit bafouée par une forme de voyeurisme bien peu subtile et malvenue compte tenu des rôles qu’ils incarnent. D’autant plus que le film brille sur bien d’autres sujets : l’émancipation de cette femme est passionnante, elle qui s’éloigne peu à peu de son mari et de sa vie monotone pour laisser place à ses propres envies et aspirations. L’habitacle de la voiture dans la scène de l’ouverture revient d’ailleurs à plusieurs moments clés du récit : il s’agit de moments où la professeure est libre d’aller et venir, de vivre sa vie et prendre ses décisions. Aussi solitaire qu’émancipatrice, la voiture est pour elle le lieu de tous les fantasmes d’une vie plus indépendante.

L’excellent travail de photographie joue d’ailleurs beaucoup sur cette sensation de solitude et de désinvolture, entre ses tons très gris et sombres, mettant en valeur la saison des pluies qui s’abat sur un Singapour impersonnel et distant. Le cinéaste installe d’ailleurs une distance évocatrice lorsqu’il filme ses personnages, les observant avec retenue, parfois même depuis l’extérieur d’une fenêtre, et les voit évoluer et interagir ensemble. Une technique qui fonctionne d’autant mieux que cette simplicité dans la mise en scène traduit une maîtrise formidable de l’espace, faisant de la minuscule salle de classe ou de l’habitacle d’une voiture de gigantesques zones de jeu où Yeo Yann Yann incarne son personnage avec une douceur terrible : la force extraordinaire de cette femme passe par la douceur qu’elle offre à un étudiant désordonné et abandonné par des parents trop absents.

Anthony Chen revient enfin avec son deuxième film et c’est une nouvelle réussite. Peut-être moins bouleversant que Ilo Ilo, parfois même assez déconcertant à cause d’une scène ou deux dont on aurait pu se passer dans la relation qu’il parvient à construire entre la professeure et son élève, Wet Season n’en reste pas moins une vraie délicatesse qui offre une belle histoire d’émancipation, à la fois pour l’élève qui découvre la vie de sa professeure et cette femme qui s’échappe du quotidien imposé par la situation de son couple. A la monotonie du quotidien le cinéaste répond par la tendresse d’une relation platonique qui sert de tremplin vers une autre vie. Très beau grâce au travail du chef opérateur et avec un personnage féminin remarquablement écrit, il est bien difficile de ne pas succomber aux charmes d’un film imparfait mais sincère.

Wet Season
4