Critique : Suzhou River de Lou Ye

Entre rêve et réalité

Réalisateur
Lou Ye
Année
2000
Pays
Chine
Durée
1h23
Notre score
4.5

C’est sans encore connaître le cinéma de Lou Ye que j’ai décidé de m’y plonger avec Suzhou River, une co-production sino-franco-germanique mais surtout un film dont j’avais entendu beaucoup de bien. 

Pour faire court Suzhou River raconte l’histoire de quatre chinois évoluant quelque peu en marge de la société, à Shanghai : un vidéaste qui s’avère être aussi le narrateur de l’histoire; Meimei, une jeune femme travaillant dans un bar; Mardar, un coursier et petit délinquant et Moudan, la fille d’un homme d’affaire.

Tout le long du film, la narration va être assez ambiguë, puisque la voix off racontant les histoire de chacun est une partie intégrante du film. Elle s’amuse donc à distordre la réalité et notre perception des faits en adoptant un point de vue subjectif plutôt qu’omniscient, et en nous offrant des alternatives au passé des autres personnages. 

Dans les séquences où ce conteur est en jeu, Lou Ye a choisi de ne jamais dévoiler son visage en adoptant un point de vue à la première personne dans sa réalisation en plus de sa narration, rappelant le métier de vidéaste de son narrateur mais surtout jouant avec nos sens et notre idée de ce qui est réalité et ce qui est fiction.

La voix off a donc ici une grande influence sur le spectateur, puisque contrairement au schéma classique où il s’agit d’une personne extérieure et objective, elle se permet ici de nous donner son avis, d’émettre des hypothèses sur l’histoire, de modifier certains faits, étant ainsi totalement subjective… Et si tout cela peut être un peu déstabilisant, cela permet finalement une meilleure immersion dans l’histoire puisque nous sommes sans arrêt obligés de démêler le faux du vrai. 

Cette immersion est également renforcée par la mise en scène très naturaliste de Lou Ye, qui a l’image d’autres de ses comparses chinois nous offre des plans au plus près des personnages, avec beaucoup de mouvements de caméra, portée à l’épaule mais restant très fluides et peu de cut. Il laisse parfois l’image s’attarder sur des détails et associé à un montage très juste dans ses timing, nous avons finalement un film qui est assez court et rythmé, mais nous autorise en même temps à contempler son histoire.

Côté esthétique la photographie fait très brute, parfois même sale, surtout dans la première partie du film, ce qui fait écho aux propos du narrateur sur la rivière Suzhou qu’il qualifie de ‘la plus sale’ et à la ville de Shanghai très urbaine dans laquelle évolue les personnages. Mais les scènes de romances sont aussi filmées avec beaucoup de grâce, dans des cadres restant assez froid représentant parfaitement la certaine désinvolture des romances.

Car au delà de la technique, c’est la beauté et la légèreté de cette romance même qui va contraster avec cet urbanisme dur et poisseux qui nous emportera vraiment. A l’image de la scène finale, le spectateur vogue presque avec ivresse sur ce fleuve de sentiments et les 1h20 de film défilent donc sans que l’on ne voit passer les minutes. La figure de la sirène revient également plusieurs fois, nous donnant un peu plus l’impression d’une sorte de rêve éveillé. 

La bande originale est finalement le petit plus qui de part sa beauté et son utilisation très pertinente au gré des scène complète l’immersion et l’investissement émotionnel du spectateur.

En résumé si Lou Ye partage quelques caractéristiques indéniable avec d’autres réalisateur chinois comme Wong Kar-wai, il nous plonge tout de même à sa propre manière dans son conte à mi chemin entre l’onirisme et la noirceur, entre le fatalisme et la lueur d’espoir, le tout bercé d’une touche de mélancolie. A voir absolument.

4.5