Critique : A Scene at the sea

L'apaisement selon Takeshi Kitano

Date de sortie (Japon)
19/10/1991
Réalisateur
Takeshi Kitano
Pays
Japon
Notre score
4.5

Takeshi Kitano est un artiste fascinant aux multiples facettes. Il débute en tant que comique dans les 70’s aux côtés de Niro Kaneko (aka Beat Kiyoshi). Celui que l’on surnomme Beat Takeshi devient ensuite présentateur à la télévision avec l’impayable Takeshi’s Castle (1986-89), dont les français ont pu voir certains passages dans l’émission Menu W9 entre 2006 et 2007. Les fans du Joueur du grenier connaissent le fameux Takeshi no Chosenjo (1986), jeu-vidéo que Kitano a conçu et qui a rendu fou plus d’un joueur. Il est également auteur de poèmes, de romans, chanteur et même peintre (il évoque cette facette dans le film Achille et la tortue). Puis il y a l’acteur qui a joué pour Nagisa Oshima (Merry Christmas Mr. Lawrence et Tabou en 1983 et 1999) ou Kinji Fukasaku (Battle Royale en 2000). Enfin, il est aussi réalisateur depuis 1989 et il lui arrive de jouer dans certains de ses films.

Kitano a débuté comme réalisateur avec Violent Cop (1989), un projet initialement prévu pour Fukasaku (certains disent qu’il a laissé tomber le projet parce qu’il était malade, d’autres à cause d’un conflit d’emploi du temps). Devant incarner le héros, l’acteur se propose à la réalisation et remanie le scénario à sa guise. D’une comédie policière à la base, il en fit un véritable polar radical avec son lot de morts en pagaille et un policier qui ne fait aucun cadeau, que ce soit aux criminels ou à ses proches.

L’année suivante, il enchaîne avec Jugatsu, un film un peu moins sombre où Kitano s’octroie un second rôle d’ancien yakuza. Ces deux films laissent entrevoir deux facettes de sa filmographie en tant que réalisateur : les films violents souvent avec des gangsters et des policiers ; et des films plus simples, intimistes et parfois même autobiographiques. Une constante qui se confirme avec le film suivant. 

Actuellement visible en streaming sur le site d’Arte et leur chaîne Youtube (*), A Scene at the sea (1991) ne présente pas de gangsters, ni de justiciers, n’est en aucun cas violent et pour la première fois, le réalisateur ne se met pas en scène. Cette troisième réalisation raconte l’histoire d’un jeune éboueur sourd et muet se mettant au surf, après avoir trouvé une planche de surf cassée (Claude Maki qui reviendra chez Kitano pour Aniki mon frère). A ses côtés, sa petite-amie (sourde également) qui le regarde progresser (Hiroko Oshima), ainsi que divers surfeurs. Ces derniers se moquent au départ, avant d’admirer sa persévérance et au final son talent, au point de devenir ses amis.

Le scénario d’A Scene at the sea est simple et se résume à peu de choses. Mais qui dit simple ne veut pas dire simpliste. Si un scénario simple évoque quelque chose de facile à comprendre et à suivre, l’autre est davantage superficiel ou peu développé. Kitano l’a bien compris en montrant ce jeune homme progressant au fil du film jusqu’à atteindre un certain niveau, au point de ne vivre quasiment que pour sa passion. Parfois, le réalisateur montre le jeune surfeur, d’autres fois les réactions des gens sur la plage. Ainsi, les moqueries et l’attente font place à l’admiration. Le réalisateur n’a pas besoin de montrer son surfeur à l’oeuvre systématiquement. Il suffit d’observer le regard des autres sur lui pour voir que quelque chose change. 

Les dialogues du film sont limités aux personnages parlants et encore, ces derniers ne disent pas forcément des choses essentielles. Les interactions des personnages importent davantage au réalisateur. Les signes entre Shigeru et Takako ne sont d’ailleurs pas sous-titrés, montrant que le réalisateur n’a pas besoin de cela pour faire comprendre au spectateur ce que se disent les deux personnages et ce qu’ils ressentent l’un pour l’autre. Une crise dans le couple n’aura pas besoin de sous-titrage pour être compris, les gestes suffisent. Ce qui fait d’A Scene at the sea un film sensoriel et quasiment muet, reposant en grande partie sur le duo Claude Maki / Hiroko Oshima et les émotions qu’ils véhiculent à l’écran. Autant dire qu’ils s’en sortent magnifiquement bien.

Un sentiment d’apaisement se dégage également du film, bien aidé par la sublime musique de Joe Hisaishi. Le compositeur fétiche d’Hayao Miyazaki signait là sa première bande-originale pour Takeshi Kitano et leur collaboration s’est étendue jusqu’à Dolls (2002), où ils ont eu des mésententes. Un côté agréable se dégage de cette première collaboration, d’autant que le son est largement occupé par les bruitages et la musique. Ce qui permet une osmose indéniable entre l’image et la musique. 

A Scene at the sea est une expérience sensorielle incroyable, qui déjoue plusieurs fois les attentes des spectateurs. Malgré une fin brutale (soit une constante dans le cinéma de Takeshi Kitano), le film est une bouffée d’air frais où le spectateur peut s’identifier facilement à Shigeru. Après tout, nous sommes tous passionnés par quelque chose, non ?

 

* Pour le voir sur Arte.fr : https://www.arte.tv/fr/videos/089400-000-A/a-scene-at-the-sea/ 

Pour le voir sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=XWoQgV-ZiNA&t=3966s 

Attention, le film est disponible jusqu’au 30 septembre 2019.

Note des lecteurs0 Note
4.5