Critique : Final Fantasy : Les créatures de l’esprit

18 ans après, retour sur un film révolutionnaire

Date de sortie
15/08/2001
Réalisateurs :
Hironobu Sakaguchi , Motonori Sakakibara
Pays
Japon / USA

Le cinéma est rempli de films qui ont marqué un tournant technologique. On a vu cela lorsque Georges Méliès est devenu un des premiers conteurs du Septième Art. Mais également lorsque le cinéma est passé du muet au parlant, de la 2D à la 3D, quand l’animation s’est mixée avec des prises de vue réelles ou encore la création des CGI (images de synthèse), permettant des effets-spéciaux de plus en plus photo-réalistes et donc plus ancrés dans le réel. Un des films les plus innovants de ces vingt dernières années est pourtant assez oublié, souvent à cause de ses résultats au box-office. Il s’agit de Final Fantasy : Les créatures de l’esprit (Hironobu Sakaguchi, 2001).

A l’origine, il y a la série de jeux-vidéo développée par Sakaguchi au sein du studio Square. Depuis 1987, la saga aux plus de 142 millions d’exemplaires vendus compte plus d’une cinquantaine de jeux, allant des opus originaux à leurs suites directes, en passant par des séries de jeux annexes. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que des studios d’animation commencent à s’intéresser à cette franchise lucrative.

C’est ainsi que Madhouse produit en 1994 une série d’OAV (Original Animation Video, soit des films d’animation voués à sortir en vidéo) faisant suite au jeu-vidéo Final Fantasy V (1992), Legend of the Crystal. Mais à partir de 1993, des jeux-vidéo commencent à être adaptés avec des acteurs. Des films qui relèvent aussi bien de la catastrophe industrielle (Super Mario Bros) que du gros nanar (Mortal Kombat, Street Fighter). Dans le cas de Final Fantasy, c’est le créateur des jeux qui s’y colle accompagné de Motonori Sakakibara (co-réalisateur du dernier film Pokémon, Mewtwo strikes back Evolution), le tout sous l’égide de Square et réalisé en images de synthèse.

 

L’idée du film est venue à Sakaguchi à une époque où il repensait à sa mère, décédée plusieurs années auparavant. Il se demandait ce que devenait son esprit après sa mort et l’héroïne du film porte le même prénom qu’elle : Aki. Après un premier script, le réalisateur s’est fait aider de scénaristes américains :  Al Reinert (Apollo 13), Jeff Vintar (I, Robot), Jack Fletcher et Bruce BL Jurgens. Les créatures de l’esprit raconte l’histoire d’Aki Ross, une scientifique essayant de retrouver les huit esprits présents sur Terre, afin de combattre les fantômes issus d’une météorite s’étant écrasée sur la planète bleue 34 ans plus tôt. Au moment où débute le film, elle en a déjà trouvé cinq.

Le scénario a connu tellement de versions qu’il n’est pas étonnant que plusieurs aspects ont été dégagé au fil du temps. A l’image de Meg, une petite fille contenant le cinquième esprit, qui devait avoir un rôle central dans le film et n’est évoquée que brièvement par Aki dans le résultat final. Ou alors la fin complètement modifiée. (attention spoilers) Comme évoqué par l’équipe du film, “Au début, c’était censé être un typhon (…) Les fantômes sur lesquels on tirait avec un canon Zeus grandissaient le corps spirituel de la Terre, se mettaient en colère et causaient des désastres naturels. Mais ça semblait difficile à réaliser et on a abandonné.” (*). Il était même question de dieux dans le ciel. Au final, nous voyons les fantômes fusionner progressivement avec l’esprit de la Terre, Gaïa.

De la même manière, l’évocation de la grossesse d’Aki n’est pas très claire dans le film fini. Aki est en effet bien enceinte de Grey, le militaire qui l’accompagne tout le long du film, et son enfant est en fait le huitième esprit. Un enfant qui aurait été conçu avant le voyage sur Zeus évoqué par les deux personnages au cours du film et non lors de la scène d’amour en fin de film. Ce qui explique l’évanouissement d’Aki au cours de l’exploration à Tucson. La dernière scène du couple n’est d’ailleurs pas sans évoquer des scènes similaires dans Legend of Zu (Tsui Hark, 2001) et Blade 2 (Guillermo del Toro, 2002). L’équipe a également dû simplifier certains éléments pour le public américain. Des simplifications pas toujours heureuses, synonymes de compromis entre les cultures japonaise et américaine. (fin des spoilers)

Produit sur quatre ans entre le Japon et Hawaï, Final Fantasy : Les créatures de l’esprit était un défi incroyable en 2001 et l’est toujours. Bien que des patrons ont été réalisé en motion-capture (un acteur porte un costume sur lequel on trouve un grand nombre de capteurs), la plupart des mouvements récupérés ont été modifié par la suite par les animateurs et tout ce qui concerne les visages a été réalisé uniquement par ordinateur. Il n’y a pas de performance-capture ici (**). Ce qui rend le photo-réalisme des personnages encore plus dingue. D’autant plus quand on sait que des plans ont dû être refaits en dernière instance, parce qu’ils étaient dépassés par rapport à ceux produits plus récemment.

En regardant le film 18 ans plus tard, la claque est intacte. Alors oui les personnages sont parfois un peu monolithiques et manquent d’émotions sur leurs visages par moments. Mais c’est se plaindre de bien peu au regard du travail incroyable qui a été effectué par Square. Le personnage d’Aki Ross est certainement le mieux réalisé, avec une grande palette d’émotions et l’impression que nous avons une véritable actrice devant nous. Ce qui peut évoquer la “vallée dérangeante”, cette théorie du roboticien Masahiro Mori évoquant que plus un robot sera proche de l’Homme, plus il apparaîtra comme monstrueux ou sera rejeté. Le photo-réalisme animé avec des humains très proches de la réalité peut ainsi provoquer ce même type de gêne.

Toutefois, le photo-réalisme du film impressionne plus qu’il ne dérange. Les rêves d’Aki sont les scènes les plus spectaculaires du film, avec des effets de foule qui ne sont pas sans évoquer la bataille finale du Retour de la Momie (Stephen Sommers, 2001) ou celles des deux derniers opus du Seigneur des anneaux (Peter Jackson, 2002-2003). Ces scènes permettent également une immersion incroyable au sein de l’action. On peut faire autant d’éloge de l’ouverture dans un New York futuriste crédible ou du souci du détail en ce qui concerne l’éclairage (aspect souvent évoqué comme difficile à faire par l’équipe du film) et les mouvements des personnages. En sachant que la scène de poursuite entre l’avion et les fantômes en plein Tucson n’est pas sans évoquer des années en avance la poursuite entre le Faucon Millenium et les chasseurs Tie présente dans Star Wars : The force awakens (JJ Abrams, 2015).

Les créatures de l’esprit est un film d’animation en CGI qui n’avait rien à voir avec ce qui se faisait à la même époque, que ce soit chez Pixar ou Dreamworks. Les personnages principaux ne sont plus des animaux, monstres et autres jouets, ce sont des humains et ils n’ont rien de cartoonesque. Ce qui fait des Créatures de l’esprit un film important, car le premier à vraiment montrer des personnages humains photo-réalistes. De même, le Japon ne retrouvera jamais vraiment un tel niveau de photo-réalisme dans ses films d’animation en CGI, souvent malheureux au niveau des émotions faciales de leurs personnages (malgré l’utilisation de la performance-capture) et donnant l’impression de cinématiques de jeux-vidéo dans leur réalisation. On pense aux films Appleseed (2004-2014) ou à Albator, corsaire de l’espace (2013), tous réalisés par Shinji Aramaki.

Mais il y a un mais à tout cela : Les créatures de l’esprit fait partie des plus gros bides commerciaux du cinéma. Qui dit révolution visuelle, dit coût d’un certain niveau. Le budget du film n’a cessé de grimper au fil des années, au point d’atteindre les 137 millions de dollars, soit un des plus gros budgets de l’époque. Il n’en a rapporté que 85 millions à l’échelle mondiale.

Un échec retentissant qui a eu des conséquences inévitables. Sakaguchi a démissionné de Square et le studio a dû fusionner avec son principal concurrent Enix (les créateurs de Dragon Quest) en 2003. Aki Ross devait être la première actrice virtuelle de l’histoire, avec pour volonté de la faire apparaître dans des films ou jeux-vidéo produits par Square. Au final, elle ne servira que pour une vidéo-test réalisée pour le court-métrage Dernier vol de l’Osiris (Andy Jones), produit par Square pour l’anthologie Animatrix (2003). L’ironie veut que l’idée d’une actrice virtuelle soit le sujet du film Simone (Andrew Niccol), sorti un an après Final Fantasy.

 

Outre le test précité, les personnages de Ryan Whitaker et Jane Proudfoot semblent avoir servi de patrons pour les personnages Thadeus et Jue présents dans Osiris, au vue de leurs apparences similaires. Les envies de cinéma de Square Enix se sont raréfiées, se contentant de films en rapport à des jeux spécifiques (l’OAV Advent Children suite du jeu Final Fantasy VII et Kingsglaive, prequel du jeu Final Fantasy XV). Sans compter la série animée Unlimited (2001-2002) produite par le studio Gonzo (Hellsing, Origine) qui n’a pas rencontré le succès, alors qu’elle se rapprochait davantage de la fantasy.

Le principal reproche fait en général aux Créatures de l’esprit est de s’être éloigné de l’aspect fantasy souvent présent dans les jeux. De même, les rapports avec la franchise sont rares dans le film, à l’image du Chocobo présent sur un t-shirt d’Aki et un sac ; et du final pas si éloigné de l’opus le plus populaire de la saga, Final Fantasy VII (1997). Mais il est bon de souligner que la franchise a souvent mélangé les genres, avec du western et de la science-fiction au sein d’un même opus. On peut également dire que la plupart des volets n’ont pas grand chose à voir entre eux (le chiffre après Final Fantasy n’est pas forcément signe de suite directe au précédent jeu). Donc difficile d’être fidèle à un univers vidéoludique qui brasse tellement d’histoires et de genres différents au fil des années.

L’absence de fan-service est également une chose appréciable, se contentant de simples easter-eggs. La différence avec bons nombres d’adaptations de jeux-vidéo où l’utilisation de tenues identiques, accessoires ou même de personnages phares des jeux est considérée par des réalisateurs et producteurs comme un signe de fidélité (spoilers : non). Les créatures de l’esprit peut se savourer comme un opus de la franchise Final Fantasy, tout comme un film de science-fiction divertissant, sans avoir besoin de citer bêtement les jeux.

En revanche, si le film a bien un défaut, c’est dans l’écriture de la plupart de ses personnages. On a la jolie scientifique qui essaye de sauver le monde, accompagné de son ex-compagnon militaire. Ce dernier a une équipe de militaires composée d’un afro-américain sympa, d’une femme garçonne similaire à la Vasquez d’Aliens (James Cameron, 1986) et du sidekick normalement rigolo (ce n’est pas le cas ici) qui n’arrête pas de parler. A cela rajoutez le méchant très méchant qui a perdu sa famille à cause des fantômes et un gentil scientifique vieillissant ; et vous avez des personnages qui ne changent pas vraiment des clichés d’une grosse production hollywoodienne lambda.

Le scénario peut aussi s’avérer très complexe dans son dernier acte, en rapport avec ce qui a été dit plus haut. Ce qui n’empêche pas le film de se suivre sans déplaisir, avec une intrigue intéressante et prenant soin de miser en grande partie sur son héroïne attachante. Aki Ross permet de décrire aux spectateurs dès les premières minutes le monde dans lequel elle vit et les ennemis de la Terre.

(attention spoilers) Les fantômes sont avant tout des victimes errants sur Terre et dont les seules ressources sont l’Homme (dont ils absorbent l’énergie vitale) et le cratère où s’est écrasé leur astéroïde. Au lieu d’essayer de les comprendre, l’Homme ne cherche qu’à les exterminer, quitte à détruire leur propre planète, renvoyant directement au massacre que voit Aki dans ses rêves. Au final, la seule manière de faire partir les fantômes n’est pas la destruction (qui ne mène qu’à la perte des Hommes comme le montre l’explosion du canon Zeus), mais la vie elle-même. Ce qui est quand même une conclusion assez intéressante, quand on se souvient des finals bourrins de La planète des singes (Tim Burton) ou Lara Croft Tomb Raider (Simon West), sortis à la même période. Ce qui est probablement dû à la sensibilité japonaise de ses auteurs.

On relève également que les scientifiques ne sont pas vus de manière bienveillante, au point qu’ils en viennent à se méfier des autorités. On le voit notamment dans la première scène du docteur Sid, où il fait brûler un de ses carnets devant Aki, lui évoquant le cas de Galilée, homme emprisonné à cause de ses idées scientifiques. Or, la destruction du bouclier de New York n’est pas dû aux scientifiques, mais aux autorités. L’autorisation donnée par le conseil politique au général responsable du désastre new-yorkais confirme la défiance des autorités envers les scientifiques pourtant bienveillants. (fin des spoilers) Signalons au passage l’excellente musique d’Elliot Goldenthal (Alien 3, Demolition Man), même si on se serait bien passé de la chanson interprétée par Lara Fabian.

Au regard de son apport technologique monumental (le récent remake du Roi Lion lui doit énormément, tout comme Avatar), Final Fantasy : Les créatures de l’esprit est un film important. Mais il se révèle être également un film divertissant au scénario intéressant et sortant du lot, malgré quelques défauts. Un film injustement oublié qui mériterait que l’on s’y attarde davantage 18 ans après.

 

* Propos issus du commentaire audio avec Motonori Sakakibara et l’équipe du film disponible sur le DVD du film.

** La performance-capture est la forme évoluée de la motion-capture. L’acteur a la même combinaison et les mêmes capteurs sur le corps, mais il a aussi des capteurs posés sur son visage et une caméra accrochée à un casque pour filmer ses expressions faciales. C’est cette technique qui fut utilisée par Weta Digital sur Le Seigneur des anneaux, Avatar (James Cameron, 2009) ou la trilogie récente de La Planète des singes (Wyatt, Reeves, 2011-2017).