Critique : The Tatami Galaxy et The Night is short, walk on girl

Masaaki Yuasa dans le monde de Tomihiko Morimi

Les réalisateurs ayant émergé dans le cinéma d’animation japonais au cours des 2000’s ne manquent pas. On peut facilement citer Makoto Shinkai (Your name), Keiichi Hara (Colorful), Takeshi Koike (Redline), mais aussi Masaaki Yuasa. Animateur depuis 1990, il s’est vraiment mis à la réalisation à partir des 2000’s après des essais courts (Anime Rakugo Kan en 1992 et Slime boukenki : umi da, yeah ! en 1999). Son oeuvre phare ? Mind Game (2004), probablement le film le plus dingo de la précédente décennie. Une oeuvre hybride mélangeant différents types d’animation où le frappadingue côtoie sans cesse l’incroyable (comme montrer une course entre le personnage principal et Dieu). 

Un cru qui aurait pu n’être que le seul coup de génie de son réalisateur si Yuasa n’avait pas confirmé l’essai. Ainsi, après des épisodes de séries animées (notamment Kaiba en 2008) et le film à sketches Genius Party (2007), il se lance dans deux productions liées à l’auteur Tomihiko Morimi : la série animée The Tatami Galaxy (2010) et le film Night is short, walk on girl (2017) adaptés de romans publiés en 2004 et 2006. Deux projets qui partagent des personnages communs ou à l’apparence similaire. Rien d’étonnant puisque l’équipe est globalement la même, bien que la série fut produite par le studio Madhouse et le film par le studio de Yuasa, Science Saru. 

On suit un héros non-nommé en pleine crise existentielle et avec un but précis (avoir la meilleure vie universitaire possible ou séduire “la fille aux cheveux noirs”). Dans The Tatami Galaxy, il est accompagné d’un personnage aux traits proches du yokai (créatures surnaturelles issues du folklore japonais que l’on peut voir notamment dans Lettre à Momo d’Hiroyuki Okiura), qui apparaît rapidement comme son ami le plus proche. Dans Night is short…, il s’agit du dieu des livres, un personnage demandant un service à « la fille aux cheveux noirs« . Notre héros est amoureux d’une fille aux cheveux noirs dans les deux projets, même si cet élément est un peu moins mis en avant dans The Tatami Galaxy (on parle davantage d’une sous-intrigue). D’autant qu’un autre personnage féminin se rajoute à l’équation (Hanuki), même s’il est moins mis en avant dans Night is short… Son penchant pour la boisson est en tous cas présent dans les deux projets.

En revanche, certains personnages ne semblent pas changer d’un récit à l’autre, que ce soit Higuchi mentor du héros dans The Tatami Galaxy et celui de l’héroïne dans Night is short… ; ou le chef de la surveillance de l’université au design différent, mais à l’importance identique. Même les pulsions sexuelles du héros symbolisées par un cowboy apparaissent aussi bien dans la série que le film. Le character design similaire ou l’utilisation de personnages pourraient être secondaires, s’ils ne permettaient pas des liens directs entre les deux oeuvres et ainsi d’en faire des versions alternatives  se déroulant potentiellement au même endroit. Ainsi, il n’est pas étonnant de retrouver un mur d’escalades où les prises sont… des seins. Ni de voir le trio formé du narrateur ou de la fille aux cheveux noirs, d’Higuchi et d’Hanuki en pleine tournée des bars.

La structure est également similaire chez les deux projets avec une tendance à la folie furieuse quasiment omniprésente, aux questionnements de leur personnage principal et une dernière partie plus déprimante. Après avoir évoqué les points communs, il est temps d’aborder les deux projets de manière individuelle. The Tatami Galaxy expose son concept par son excellent générique mis en musique par le groupe Asian Kung Fu Generation. (attention spoilers) Le long travelling avant que montre une partie du générique dévoile que la chambre sur quatre tatamis et demi du héros va avoir une place importante dans le récit, d’autant que le spectateur en voit plusieurs par différents filtres de couleurs. De plus, chaque personnage apparaît sous différentes faces.

Il y a bien évidemment une raison à cela. A chaque épisode jusqu’aux deux derniers, le héros va vivre deux années universitaires différentes en fonction des clubs qu’il fréquente, de ses rencontres ou même de ses mœurs (comme choisir entre passer la soirée avec une fille ivre ou aller surveiller une poupée gonflable). Du coup, une chambre sur quatre tatamis et demi en plus apparaît sans que le narrateur ne s’en rende compte. Un indice avant les deux derniers épisodes va dans ce sens : à chaque visite du héros chez la voyante, le prix des consultations augmente.

The Tatami Galaxy pourrait vite apparaître comme répétitif, puisque certaines situations s’avèrent similaires d’épisode en épisode et les actions de quelques personnages ne changent pas non plus. Toutefois, Yuasa parvient à exploiter à fond le concept de la série en faisant diverses variations ou en exploitant un voyage dans le temps par épisode sur les trois quarts de la série. Au niveau de la mise-en-scène, le réalisateur se fait également plaisir.  L’une des scènes du dernier épisode n’est pas sans rappeler les courses effrénées du héros de Mind Game, avec les différentes versions du narrateur apparaissant dans sa course folle, au point de finir totalement nu. De même, avec ce mélange d’animation et de prises de vue réelles dans les derniers épisodes, leur donnant un air étrange supplémentaire.

Enfin, les questions existentielles du narrateur peuvent paraître similaires aux spectateurs, entraînant ainsi un attachement direct. A force d’accumuler les années de vie, il assimile les éléments pour former une seule et même vie, avec toutes les relations qu’il a engendré depuis le début de la série, bonnes comme mauvaises. Au final, l’université n’a que peu d’intérêt par rapport aux interactions qu’elle engendre. La vie n’est pas qu’une chambre avec quatre tatamis et demi. (fin des spoilers)

Peu de temps après la production de The Tatami Galaxy, Masaaki Yuasa a reçu la proposition de produire une adaptation de Night is short, walk on girl. Après un premier échec et quelques travaux plus tard (des épisodes des séries animées Ping Pong the Animation, Adventure time et Space Dandy), le réalisateur parvint à produire coup sur coup Night is short… et Lou et l’île aux sirènes (2017). Même si on a parfois l’impression que Yuasa nous emmène dans des nuits multiples au vue du nombre d’événements incroyables qui se produisent, le film se déroule bien entre le début d’une soirée et la matinée suivante. Un peu comme si le réalisateur signait son After Hours avec le héros et l’héroïne accumulant les péripéties les plus dingues sans temps mort.

(attention spoilers) Ainsi, nous passons d’une séance de beuverie où l’on s’étonne que les personnages ne finissent pas ivres morts à une quête de livre sauvage à base de nourritures pimentées, avant la pièce de théâtre itinérante et une conclusion digne de Mind Game. Peut-être plus que sur The Tatami Galaxy, Yuasa se fait davantage plaisir alors qu’il a ironiquement eu plus du mal à produire le film que la série. Le réalisateur s’amuse avec les différentes étapes du récit, notamment le dénouement de la partie théâtrale alignant tellement de rebondissements que l’on se demande si cela va s’arrêter.

À l’instar de son aîné, Night is short… propose un dénouement étrange, cette fois-ci dans l’état mental de son héros avec son lot de pulsions sexuelles, des clones en tous genres du héros et l’héroïne essayant de se frayer un chemin dans ce labyrinthe délirant. La réalité devient de plus en plus incompréhensible, se mélangeant avec les délires fiévreux du héros. Un aspect qui n’est pas sans rappeler l’univers du regretté Satoshi Kon, grand amateur de la confrontation entre rêve, fiction et réalité.

À la différence de The Tatami Galaxy où le narrateur balayait volontairement l’histoire d’amour du dénouement, Night is short… exploite jusqu’au bout la romance. Elle devient alors une manière de se battre contre ses propres pulsions et le destin n’est pas tout tracé. Outre la romance potentielle entre le héros et l’héroïne qui peine à se mettre en place, on le remarque également avec l’ami cherchant désespérément une femme qu’il a croisé une fois, pensant qu’il s’agit de son grand amour. La réalité n’en sera que plus surprenante à travers un musical génial. (fin des spoilers)

The Tatami Galaxy et Night is short, walk on girl sont des œuvres absurdes liées par différents aspects et qui s’avèrent être des expériences uniques et fascinantes, emportant le spectateur dans des voyages jouissifs, drôles et abordant des questions existentielles avec saveur. Une manière de confirmer que Masaaki Yuasa n’est pas l’homme d’un seul projet fou.

The Tatami Galaxy. Série réalisée par Masaaki Yuasa. Disponible en DVD et Blu Ray chez Black Box et sur Netflix.

Night is short, walk on girl. Film réalisé par Masaaki Yuasa. Disponible en DVD et Blu Ray chez @Anime.