Critique : Alita: Battle Angel de Robert Rodriguez

ABA_016_ALA_0190_v0505.87446 – Keean Johnson (left) and Rosa Salazar (center) in Twentieth Century Fox’s ALITA: BATTLE ANGEL. Photo Credit: Courtesy Twentieth Century Fox.

Là où le public a été surpris par rapport à ses attentes, compare aux précédents manga-live allant de nuls à médiocres, type Dragon Ball Evolution ou Ghost In The Shell, ou encore à la production pataude de blockbusters surannés actuelle, j’ai, quant à moi, été relativement conforté dans mes attentes de déception…

Bonjour, lecteur, je dois t’expliquer un peu qui je suis, t’as de la chance j’ai oublié mes diapositives. Alors, il faut dire que je suis pas un ultra curieux, et que j’ai fui quasi-toutes les douteuses adaptations de manga et d’anime sorties ces quinze dernières années, suscitées ou non. Les blockbusters desquels je fais mention, menés par ce fer de lance dont je refuse de citer le nom, j’en ai pas vu un seul non plus. Et ça m’intéresse pas.

Par contre, dès que j’ai su que James Cameron, le seul occidental de ma sainte trinité de réalisateurs préférés, allait concrétiser ses ambitions d’adapter Gunnm, je me suis empressé d’achever ma collection de ces neuf tomes, en éditions Glénat moches et disparates, et j’ai lu, j’ai aimé, et j’étais impatient. Un jour on m’a annoncé que l’escogriffe Rodriguez avait été choisi par Cameron pour le remplacer, ce qui m’a refroidi à peu près vers les -4 degrés kelvin, mais de moins sanguins que moi ont su me convaincre de faire confiance d’abord à Jim le lumineux. Merci à eux.

Donc eh bien relativisons un peu ma pessimiste phrase introductive :

Le film est beau, la production design (c’est les décors et leur enrobage) est superbe, et cet univers regonflé, ambitieux, rend ample justice à ce petit manga certes magnifique mais qui se tenait à échelle humaine. En plus, on étanche largement notre curiosité de ce monde bien construit : acheter ce blu-ray pour le mettre en pause sur les plans d’ensemble sera, j’en suis sûr, une activité passionnante (et pas que les plans d’ensemble, vous le comprendrez au chapitre « scènes d’action »). La 3D est utilisée à plein escient, aussi, de même que la performance capture, et j’encourage tout lecteur de ces lignes à trouver une séance en 3D au moins passive (mais active j’aurais dû) avant de se jeter sans conviction sur son cinéma de quartier à projecteur 2D flou. On sent de plus, aussi bien en interview que dans le film lui-même, une déférence de Rodriguez vis-à-vis du maître Cameron, qui est bienvenue, puisqu’il semble avoir fait de vrais efforts de travail, lui que je trouvais — veuillez m’excuser — fumiste dans ses autres films.

Je dois m’y résoudre, et pour ne pas enchaîner trop vite mes peu nombreuses cartes « compliments », parlons maintenant du scénario, ainsi que de sa co-détenue, l’adaptation. Évitant pas mal d’écueils de l’américanisation outrancière que tout lecteur de la moindre page de Dragon Ball redoute toujours dans ce genre de projet, l’écriture me pose quand même quelques problèmes.
Déjà, c’est un poil trop dense. Un nectar de Gunnm à base de concentré de Gally, relevé au Kishiro, si vous voulez. J’imagine assez bien Cameron, comme un gosse devant sa feuille, qui a voulu à tout prix caser les trois premiers tomes (et même un peu d’OAV) dans un bazar de deux heures. Ça a beau être mélangé très adroitement, construire sans y paraître une intrigue de film sur deux arcs majeurs de manga (ça a dû être dûr !), et y rajouter Desty Nova en chantilly, c’est un peu écœurant. Mais ne vous méprenez pas ! C’est parfaitement compréhensible pour un spectateur un peu attentif qui ne cherche pas de ses yeux distraits le meilleur morceau de pop-corn dans son bocal XXL (cherchez pas, une petite rancune avec mes voisins de derrière).

Non, ce qui me gêne vraiment, ce sont ces rajouts scénaristiques malvenus. Je suis le premier à calmer le jeu quand une adaptation prend des libertés, mais je suis aussi très frileux lorsqu’il s’agit de surexpliquer des éléments de mystère ou de changer des intentions d’ordre mythologique : toutes les clés qu’on nous fournit sur les passés d’Alita et d’Ido cassent la magie énigmatique d’un passé inconnu, qui donnait du mystique à l’une, et un véritable désintéressement paternel à l’autre.
Et vous dire ça m’embête d’autant plus que c’est le genre de reproche facile à faire au cinéma américain, et particulièrement aux adaptations : tout choix même simple de l’auteur original est expliqué à grands renforts de lourd passé psychologique, ici le fait d’avoir perdu sa fille pour Ido, et pour Alita… je vous divulgâche pas.

J’ai pas vu les OAV en entier, mais leurs apports me semblent aussi bien discutables : un personnage comme Chiren vient surdramatiser le passé du brave Ido ; il fallait une mère à la fille, j’entends bien, mais le film se serait mieux porté sans elle, d’autant qu’il y a bien trop de personnages clés. Tenez : Grewishka, aussi, bête idiote placée en substitut de Makaku (et d’un autre un peu accessoire), rend bien plat les deux personnages qu’il fusionne, brutes pourtant intéressantes dans l’œuvre papier. Il oblige également le récit à un passage à vide dans les égouts, héritier rachitique du premier arc du manga, qui ne raconte pas grand chose, en plus de compliquer drôlement l’univers pour une fonction narrative minime.

Certes, ces deux personnages que l’OAV créait ou modifiait se placent idéalement dans la structure du récit, mais ils alourdissent considérablement les fonctions qu’ils occupent, se plaçant comme des solutions de facilité à des problèmes contournables autrement.

Je passe sur Zapan (ouais y’a miiiille persos), déjà assez pénible dans le manga, mais dont la chienlit est ici exacerbée dans un méchant disney-channel au jeu d’acteur horripilant.
Mais, et parce que ça me touche particulièrement, mon problème numéro 1 est d’ordre mythologique : qu’il y ait effectivement un moyen de monter à Zalem pour le meilleur des sportifs pèquenauds, voilà qui casse toute la puissance cyberpunk du manga. Celui-ci, jusqu’à sa dernière case, dépeignait une société abjecte de ségrégation absolue, matérialisée par cette cité-élite placée non pas sur une hauteur mais bien au dessus, sans espoir d’accès, cruelle et inutile, exploitant les Hommes, dont nous ne souhaitons que la destruction.

Le personnage d’Alita est bien entendu le centre du film, et seule son écriture semble avoir été polie par le duo de scénaristes. Elle respecte bien le personnage original, et l’actrice nous fait oublier une performance capture qui pourtant peut friser parfois le dérangeant. Hélas, son ptit copain Hugo est quant à lui assez creux (en plus il est là tout le temps ce raseur), et se dégage de leur amourette une naïveté adolescente, déclamée à grands renforts de dialogues clichés. D’aucuns diront sans doute : « hé c’est pareil dans l’manga ». D’accord, mais dans l’manga comme vous dites, les personnages naïfs sont dépeints sous un regard d’auteur dur et adulte, qui leur tisse un monde cruel jalonné d’échecs potentiels, et c’est avec un regard désolé que nous assistons impuissants au désenchantement parfois brutal de Gally (Alita), confrontée aux humains qu’elle découvre.
Et puis Rodriguez dirige ses acteurs comme un gros manchot, c’est pas nouveau. C’est peut-être ça le problème majeur pour l’empathie, en fait…

J’ai promis des compliments, les voici ! Oui j’ai un avis sévèrement binaire, je sais, mais c’est, je crois, mon impression sincère de visionnage. Les scènes d’action sont bluffantes, jouissives, explosives, inégalées (bon le dernier adjectif j’ai un doute) ! Difficile de dire ce qui est dû à Rodriguez au aux nombreux storyboards de tonton Jim, mais on s’en cogne, c’est génial ! En tout cas, elles prennent de grandes libertés vis-à-vis du manga, et donnent une ampleur formidable à ses scènes. Le motorball, les bagarres avec Grewishka, wow ! C’est cinétique, puissant, superbement chorégraphié, monté, et la géographie est d’une clarté sans faille. On peut le dire sans trembler, ces scènes utilisent pleinement les possibilités de la motion capture, ce qui est une excellente nouvelle pour la reconnaissance de cette technologie. Enfin, ça va presque de soi chez Cameron mais autant le souligner pour les frileux de la castagne, elles sont loin d’être dépourvues d’enjeu.
C’est bien simple, le film vaut le coup rien que pour ça (et ça ne veut pas dire que l’histoire est nulle malgré mes remarques, loin s’en faut), c’est du vrai cinéma !

Donc oui, et pour conclure votre lecture déjà fort longue, le film reste bien au dessus du lot, et est une bouffée d’air frais dans le paysage des adaptations de manga et des blockbusters, mais son accueil critique profite bien de la comparaison justement… Cette critique se voulant décontextualisée sauf par rapport à l’œuvre adaptée, j’espère ne pas être trop sévère avec un film bien accueilli, plein de promesses et d’espoirs pour le futur du médium. Donc n’écoutez pas le ronchon que je suis, tant pis pour moi et mes exigences mythologiques, et donnez une chance à cette nouvelle proposition hollywoodienne !
Ou alors allez voir Vice.