Chronique : Histoire de fantômes chinois — Le film d’animation

Alors que les trois premiers Histoires de fantômes chinois de Ching Siu-Tung se sont imposés comme des classiques, représentant presque seuls un genre-niche jouissif pourtant inventé avant eux —la célèbre « ghost kung-fu comedy » —, le film d’animation qui leur fait suite n’est pour ainsi dire jamais mentionné.
En effet, nourri de cinéma d’animation, le grand mogul Tsui Hark, déjà à l’origine de la trilogie sus-nommée, nourrissait depuis longtemps l’ambition d’en produire un. Et quoi de mieux pour un film d’animation chinois que de s’inscrire dans le riche folklore fantastique de la Chine ancienne, promettant de nombreux trouvailles visuelles ? Ben j’en ai aucune idée, c’est très bien comme ça je trouve. Voyons ça.

Trop inexpérimenté à son propre goût dans l’exercice difficile de l’animation, Tsui Hark finit, après mûre réflexion, par confier son projet aux mains du réalisateur Andrew Chen, déjà plus coutumier de la chose — du moins c’est ce qu’en dit le producteur en interview, la page IMDb dudit Andrew étant aussi remplie que celle de mon tonton Michel. Le film sort en 1997 après quatre ans de travail, ce qui me fait penser que Tsui Hark sont en fait au moins trois personnes, car rappelons qu’il a réalisé 8 films sur cette période, dont deux aux Etats-Unis.

À l’instar des trois autres films de ce que je considère désormais comme une quadrilogie (y’a pas de raison), Histoire de fantômes chinois, cru 1997 ne fait pas à proprement parler suite aux intrigues de ses prédécesseurs, mais adapte — en brodant beaucoup — une nouvelle tirée des fondamentales Chroniques de l’Etrange de Pu Songling.
Suivant un personnage propulsé malgré lui dans un monde de fantômes, où seuls semblent pouvoir l’aider des prêtres taoïstes (sortes d’exorcistes vêtus de jaune), l’histoire découvre un personnage de fantôme féminin, esclave d’une démone qui se nourrit de corps d’hommes. Comme dans le 1, donc, oui c’est bien vous êtes attentifs. Sauf que ce film animé s’en démarque presque totalement, en faisant de ce postulat un détail, et en rendant les taoïstes bien plus ambigüs que le très sage Wu Ma du film de 1987.

Alors, qu’est-ce que ça donne en détails, Histoire de fantômes chinois ? Voici ce qui frappe : rappelez-vous que les animateurs de la fin des années 90 étaient persuadés que le mélange 2D traditionnelle et 3D ne se remarquerait pas trop… Donc oui, en un mot : le film a vieilli. Son esthétique est ce qui rebutera la plupart des spectateurs, s’ils ne font pas un effort d’indulgence, puisque s’y superposent dessins à la main — corrects mais sans plus — et arrières-plans 3D dignes des fonds verts de Vidocq. Cependant, et avant que vous ne fuyiez vous rincer les yeux sur un Miyazaki, quelques observations restent à faire, et pas des moindres !
Le scénario d’abord. Tsuiharkien au possible, il progresse très naturellement, sans obéir aux structures, et fournit en 1h20 trop d’événements qu’il n’en faudrait pour un film hollywoodien de 2h30. Loin d’être indigeste, ce foisonnement de lieux et d’intrigues donne un film puissant et riche, si bien qu’on a l’impression d’avoir assisté à une véritable fresque, un doux cauchemar à l’imagerie fascinante, bref, un voyage initiatique dans le monde des morts.
La fin du film, sans la dévoiler, traîne en longueur, pour maintenir un suspense à mon sens inutile. Mais c’est une maigre déception par rapport au reste, si vous êtes parvenus à vous laisser emmener.
En dehors de ça, je maintiens que la structure scénaristique est proprement géniale, et renouvelle totalement une intrigue apparemment empruntée au premier volet, si bien qu’avec le peu de mots que constituent mon synopsis plus haut, j’ai déjà listé toutes leurs similitudes. Je rappelle que le film est écrit sur un coin de table pendant les pauses repas du tournage de The Lovers.

Se superpose à ce scénario la réalisation d’Andrew Chen, qui, sans être mirifique, a en sa faveur un découpage impeccable, empêchant sans effort toute confusion géographique. Malgré la relative laideur de certaines images, tout y est pesé et parfaitement rythmé. La gestion de l’espace est d’autant plus impressionnante que de nombreuses séquences se déroulent dans les airs (puisque les fantômes, ça vole, si vous saviez pas). Je répète que les cadres ne sont pas magnifiques, hein, ne vous attendez pas à… du Tsui Hark, justement ; mais vous êtes assurés de toujours comprendre l’action, ce qui est essentiel.
Mais surtout, visuellement, le film tente des choses, cette 3D surabondante étant sans nul doute le reflet d’efforts particuliers pour créer un univers visuel novateur, et des plans stylisés s’enchaînant en scènes d’actions impressionnantes. Le médium est donc exploité au maximum. On reconnaît bien là le goût de Tsui Hark pour l’exploration en dehors de ses limites. D’ailleurs, voilà qui le rapproche peut-être de Legend of Zu, dans la même veine, un autre film très inesthétique auquel on peut tout reprocher, mais pas de se contenter du minimum.

Film d’animation oblige, le doublage est essentiel pour l’immersion. Et… je dois bien vous avouer qu’il déçoit : assez mal calibré, on sent avec ce dernier détail le manque d’expérience de l’industrie hongkongaises dans le domaine. Le mixage est un peu aux fraises. Alors oui, c’est le cas de la plupart des productions locales de l’époque, et on y est habitués, mais entendre cette même spatialisation bancale sur un film d’animation, ça reste bizarre. Cela dit, vous pouvez tenter l’expérience en VF : elle existe, et n’a pas l’air pire. Peut-être est-elle même meilleure, ne serait-ce qu’au niveau du casting.

Il existe, miracle, un DVD français de ce film. Evidemment, sa jaquette laide le rapproche pas mal des sous-Disney au rabais qui tentent de se vendre sans trop y croire à des gamins crédules. Mais, hé, ça fait honneur au film ! Le résumé et le petit paragraphe vendeur au dos, imprimés dans une police Courier New du meilleur goût, se payent le luxe d’être proches de l’illisible ! Les lettres y sont superposées comme des bidasses dans un dortoir trop petit, et vous mettrez un bon quart d’heure pour venir à bout de ce texte, qui n’était pas trop mal rédigé, hélas. C’est la première fois que je vois ça sur une jaquette, c’est hallucinant ! Y’avait pas le moindre clampin pour surveiller l’impression ?
Sous cet aspect extérieur de cauchemar — que l’on doit à l’éditeur L.C.J., dont les graphistes se sont, je l’espère, reconvertis depuis en agents de surface — le DVD cache en réalité plein d’avantages insoupçonnés : un prix raisonnable la plupart du temps (malgré sa rareté), mais aussi un transfert vraiment correct, et, comble, une interview du producteur Tsui Hark longue de plus de 30 minutes, où comme d’habitude, l’homme se révèle complètement inspirant pour peu qu’on parvienne à interprètee ses paroles, toujours un peu cryptiques. C’est d’ailleurs de là que je tire les rares informations contextuelles qui introduisent cet article.
J’espère vous avoir convaincu que ce film vaut d’être vu, mais si j’avais failli à ma tâche, cette seule interview vaut a elle seule d’acheter le DVD.