Interview de Shinsuke Sato, réalisateur de Bleach

Venu présenté la version Live de Bleach lors du Festival Fantasia, le réalisateur Shinsuke Sato a eu la gentillesse de répondre à nos questions. L’occasion pour nous de revenir avec lui sur sa carrière, ses précédentes réalisations Live mais aussi sur Bleach et sur la pression qu’une telle adaptation pouvait représenter. Petite confidence aussi sur ses prochains films et ce qu’il pense de Netflix, nouvel acteur important dans la diffusion de films japonais chez nous.

Cine-asie : Ce n’est pas la première fois que vous réalisez un film LIVE, pourquoi aimez vous autant réaliser des adaptations ?

Shinsuke Sato : J’ai commencé à faire des films quand j’étais étudiant à l’université, avec un appareil de 16mm pellicule à cette époque. C’était le début de ma carrière comme réalisateur de film indépendant, et bien sur, je faisais des films avec des histoires originales. Plus tard, j’ai commencé à écrire des scenarios pour des autres réalisateurs vu qu’il y avait de la demande. La plupart étaient mes originaux aussi. J’ai aussi monté plusieurs projets avec les histoires originales, il y en a quelques-uns qui sont sortis comme des films industriels. J’ai continué à faire des films originaux pendant 10 ans comme ça après que je suis devenu un réalisateur de film industriel, jusqu’à environ 2010. J’ai fait « The Princess Blade » qui est un film d’action, « Cosmic Rescue » qui est une histoire qui se passe dans une base lunaire et « Oblivion Island » qui est un film d’animation CG avec une histoire fantastique, et tous ces films étaient avec les histoires originales. Il y en a d’autres scénarios que je préparais mais qui ne sont pas réalisé comme films. Pendant ce temps là, J’écrivais aussi les scénarios de jeux vidéo. Normalement on écrit des scénarios de 2 heures, et j’en ai écrit quelques-uns avec des histoires originales. J’ai fait des histoires fantastiques, historiques, chinoises, SF, etc. J’ai aussi été un directeur de CG.
Bref, ce n’est pas comme si j’adore réaliser des adaptations. Après 2010, les projets d’adaptations sont devenus standards dans l’industrie du cinéma au japon. J’ai fait aussi « Gantz » dans cette époque-là. C’est une histoire de super science-fiction. Je voulais justement faire un film de cette catégorie, et j’avais monté d’autres projets et fait la présentation, mais je n’ai pas pu avoir beaucoup de budget avec des histoires originales. Cela m’obligeait de faire des films à faible coût comme d’habitude. Par contre, quand on a monté ce projet de l’adaptation de « Gants », nous avons eu un budget au plus haut niveau dans l’industrie du cinéma au japon à cette époque, avec une bonne compagnie de production et les acteurs bien connus. Ce film a été un bon succès, et nous avons prouvé que maintenant on pourrait faire des films de SF plutôt sérieux au japon aussi. C’était après 2010. Après ce film, J’ai commencé à recevoir beaucoup de propositions des projets aussi dont la plupart étaient avec de grands budgets. J’ai accepté les offres quand ces projets correspondaient à mes « projets de rêves », c’est à dire, par exemple, je voulais faire un film de zombie, un film avec une bataille de samurais habillés en costumes traditionnels mais à l’époque moderne, et un film de robots. C’est ainsi que j’ai commencé à faire des films d’adaptation.

Comment s’est déroulé le choix du casting, notamment Miyavi et Sôta Fukushi?

Depuis le départ, les producteurs voulaient faire ce film avec Sôta Fukushi. Quand on se dit simplement « on va faire une adaptation de Bleach », c’est trop vague et on ne sait pas d’où on peut commencer. C’est difficile d’avoir l’image concrète comme ça, et c’était clair que la création visuelle serait très compliquée. Mais dès qu’on a cette idée que le rôle d’Ichigo sera joué par Sôta Fukushi, on commence à visualiser quelque chose. Les acteurs ont souvent leur univers assez massif d’arrières eux, donc juste en décidant un acteur qui joue le rôle principal, on commence à voir l’univers de « Bleach » soudainement. C’est une chose intéressante dans la production du film. Aussi, j’avais déjà travaillé avec Fukushi pour un autre film qui s’appelle « Library Wars ». Je me sentais très à l’aise de travailler avec lui alors je voulais faire un autre film avec lui, même si les personnages sont complètement différents dans les deux films.

On pensait à prendre un acteur plus âgé que Miyavi pour le rôle de Byakuya au départ. Mais pour avoir l’ambiance de Byakuya, qui a l’air d’avoir descendu d’un autre monde, on voulait le visuel de Miyavi. Les acteurs âgés sont forcément plus connus dans la télévision et des films. Ça aurait été pas mal de laisser jouer Byakuya par un acteur comme ça aussi, mais on a choisi de prendre quelqu’un qui ne passerait pas inaperçu chez n’importe quel audience. Miyavi faisait de la musique pour le film « Blade of the Immortal » à cette époque là. Il n’avait jamais joué pour un film japonais, mais il avait joué pour le film qui est réalisé par Angelina Jolie pour un rôle d’un japonais. Donc sa carrière était intéressante. Miyavi habite à Los Angeles, alors je lui ai demandé de prononcer quelques dialogues de Byakuya pour me les envoyer en vidéo. Par sa performance dans cette vidéo et sa manière de répondre à ma demande, je voyais qu’il était un acteur très sincère. C’est un acteur avec un très grand enthousiasme, et il ne le fait pas juste pour un passe-temps en parallèle de sa musique. Son ambiance était très perfectionnée comme Byakuya aussi. J’ai fait une offre, et il a accepté volontiers. J’ai été impressionné par son effort pour la performance dans ce film. Je voyais bien que c’est quelqu’un qui avait maîtrisé la guitare pour se faire connaître mondialement. C’est un artiste, technicien et créateur. Il ne connaissait rien de la guitare mais il a pratiqué lui-même, petit à petit pour devenir finalement un guitariste mondiale. Je l’ai vu faire des études pour perfectionner son rôle et pratiquer le swing de katana, et je me suis dit que probablement c’est comme ça qu’il a perfectionné sa guitare aussi. J’ai été touché, et je me suis dit qu’on a bien fait de le choisir pour Byakuya.

Ce n’est pas la première fois que Sôta Fukushi tient une épée pour un de ses rôles, comment s’est déroulé l’entraînement aux maniements des armes de votre casting ?

Quand je fais un film d’action, je pense à la structure pour savoir quelle position prendrait l’action dans ce film. Chaque film a différents thèmes et objectif. Et chaque scène d’action a une diffèrent personnalité dans un film aussi. Je pense au concept pour finaliser le scénario, et faire l’image de l’action au même temps. En suite, je pense au lieu et à l’environnement, et je commence discuter avec l’équipe d’action et le directeur d’action. À cette étape, on laisse jouer par les cascadeurs pour visualiser et on décide l’écoulement de film entier. On travaille comme si on fait le modelage en argile ; ajouter les petits détails, enlever certaines choses, modifier si c’est trop et ajouter encore s’il manque quelques choses, tout en discutant et réfléchissant. Et rendu à certain étape, on le film ; cela s’appelle scénarimage vidéo. On édite cette vidéo et cela devient notre plan jusqu’à plus tard. Après, on le montre à Fukushi pour expliquer le menu d’action et il commence à pratiquer. Fukushi a d’autre travail aussi donc il pratique pendant ses pauses. C’est un période assez difficile, des fois il pratique pendant la nuit. Tous les actions pour chaque scènes sont déjà décidé, alors on sait déjà quelles parties il faut que l’acteur doit jouer lui-même et les autres qui pourraient être joué par les cascadeurs ; par exemple quand c’est trop dangereux, ou quand ce serait filmé d’arrière et on ne verrait pas son visage. Donc Fukushi pratique seulement les scènes qu’il doit faire, et éventuellement il commence pratiquer avec Saotomé qui joue le rôle de Renji. Ce n’est pas la première fois que Fukushi fait l’action dans un film alors il amène aussi ses idées. Il y a des acteurs qui amènent beaucoup d’idées comme Junichi Okada dans « Library Wars ». On ne fait jamais ce genre de discutions après qu’on commence à filmer. On discute plusieurs mois avant pendant qu’on pratique au studio. Tous les détails se décident à cette étape là.
Ce qui était le plus difficile à faire dans ce film, c’est le katana. On a utilisé un katana qui est aussi grand que l’acteur. Donc pour savoir la longueur exacte qui faut, on a coupé plusieurs types de cartons pour ajuster avec la taille de Fukushi. Cela a pris pas mal du temps pour décider cette longueur, le design et les détails pour que le katana paraisse authentique. Normalement, on fabrique l’imitation d’épées avec du duralumin, mais on s’est rendu compte que ce serait trop lourd si on le fait avec ce matériel. On a fait plusieurs katanas ; un au bois, un au matériel plus souple pour l’action, un qui est complètement bleu pour SFX, un qui est juste la moitié… on en a fait beaucoup, et à la fin tous les katanas sont retouché avec CG. C’était difficile pour Fukushi car il utilisait diffèrent katana chaque fois. Des fois c’était plus léger et des fois c’était plus lourd mais il fallait qu’il les utilise comme si c’était un seul katana. Une autre chose par rapport à ce katana, c’est comme il est très grand, il peut faire la défense même avec un petit mouvement. Mais il fallait brandir fort pour donner l’impression que le personnage est habille avec ce katana. À cause de ça, c’était difficile de penser aux détails de l’action, et ça a pris un grand effort pour le directeur d’action. C’était assez dur même pour Fukushi qui a des expériences de l’action dans les autres films parce que c’était la première fois avec un tel katana.

Votre film a été très bien accueilli par les premières critiques, Aviez vous ressenti une pression particulière en vous attaquant à une licence si populaire ?

Certainement, je me sentais beaucoup de pression pour réaliser un film basé sur l’original aussi populaire qui a autant de fans. Non seulement un bande-dessinée, mais il y a aussi l’animation et la pièce de théâtre qui ont été fait. Tout est plus réaliste quand on fait un film de « live action ». Donc on est surveillé par les fans pour le casting, les coiffures des personnages, etc. Normalement ce sont des détails qu’on y pense seulement si on est dans la production du film, mais quand il y a autant de fans de l’original, ce sont des choses importantes pour les audiences. Je me préoccupe de ces gens-là, mais au même temps, si j’ai peur de ce qu’ils disent je finirais par faire la reproduction plus petite que l’original. Ça ne vaut pas la peine de faire un film dans ce cas là, car l’animation existe déjà. Ce n’était pas ce que je voulais. Je voulais agrandir l’original en faisant l’adaptation, et je voulais que ce soit intéressant comme un film. Donc j’ai essayé de ne pas être nerveux, et de faire mon mieux pour que ce soit intéressant comme un film d’aujourd’hui. Mais bien sur, j’ai toujours eu cette préoccupation vers les gens qui aiment l’original depuis longtemps, et essayé de comprendre leur point de vue. Jusqu’à la fin de l’édition, je l’ai regardé plusieurs fois pour modifier les détails pour ajuster aux regards des fans de l’original. J’essaie toujours d’avoir les deux points de vue quand je fais une adaptation ; celui de fans de l’original et celui de ceux qui ne connaissent pas l’original du tout. J’en étais conscient spécialement pour ce film jusqu’à la finition.

De très nombreux films japonais arrivent directement sur Netflix à l’étranger (notamment l’adaptation de Full Metal Achemist) , est-ce pour vous une chance de toucher le public étranger plus facilement ?

Je me disais toujours que je fais des films pour ceux qui veulent les regarder, et non seulement pour des gens dans un pays spécifique. Les films que j’ai regardé dans mon enfance n’étaient pas les films japonais. C’était des films d’Hollywood des années 80. Donc je pense qu’on doit faire des films avec une perspective plus grande, et pas avec nationalisme. Bien sur, même aux Etats-Unis, il y a des films dans lesquels on sent plus de caractère américaine et d’autres on y sent moins. J’ai la perception japonaise vu que je suis né et ai grandi au japon. Probablement cette perception pourrait aussi ajouter quelque chose de différent, qui peut être le caractère de mon film.
Avant, la façon de distribution aux pays étrangers était très limitée et difficile. Mais aujourd’hui, nous avons la webdiffusion qui nous permet de distribuer mondialement et très rapidement. Cette tendance va agrandir encore. Donc, même si ce n’est pas pour distribuer tous les films japonais dans tous les pays au monde, je pense que ce serait une bonne idée d’avoir un marché qui nous permet de sortir les films dans plusieurs pays. Cela m’intéresse beaucoup, et j’en parlais depuis longtemps. Mais il n’y avait pas de producteur de film qui en parlait de ça avant. Ils pensent tous au marché japonais. Leurs cibles principales sont des étudiantes au secondaire et à l’université au japon, donc on ajoute les éléments romantiques et choisit les acteurs pour plaire à ces audiences. On y mettait beaucoup d’importance quand on monte des projets. J’essayais de faire des films de genre avec beaucoup de caractères donc j’étais considéré comme un hérétique. Mais petit à petit, les films de genre commence à avoir leur place, au japon et ailleurs. C’est une très bonne évolution pour moi.
Il y avait très peu de producteur avec un point de vue mondial, mais je répétais qu’on devrait faire un film qui peut être intéressant même pour les gens qui ne connaissent rien du japon. Ça commence être une question sérieuse, et je pense que ça va commencer à influencer nos projets désormais. L’original de « Bleach » a beaucoup de fans internationaux, et c’est une des raisons que Warner l’a choisi pour faire l’adaptation. Les producteurs commencent à penser qu’il ne faut pas rester soucieux seulement du marché japonais. Je fais confiance à cette tendance. Bien sur que le marché japonais est le plus important pour nous, mais les films seront étendues plus loin maintenant. On peut même les regarder sur les téléphones mobiles. Le nombre de films japonais qui sont distribués en chine est limité, mais il y en a beaucoup qui ne sont pas approuvés qui passent sur internet. Des gens regardent ces films et il y a déjà des fans là-bas. Les trois films de « Library Wars » ont été présentés au festival de film à Beijing en chine. C’est une histoire qui parle de la censure alors je m’inquiétais un peu de leur réaction. Mais il y avait déjà beaucoup de fans de ce film là-bas. Il n’y avait aucune audience japonaise dans la salle, mais beaucoup de jeunes chinoises. Le public cible ressemblait beaucoup à celui au japon. Je pensais qu’elles me poseraient beaucoup de question politique par rapport à la censure, mais il n’y en a eu aucune. Les audiences étaient complètement plongées dans le monde de « Library Wars » et elles m’ont posé des questions similaires au japon. Cela m’a beaucoup touché.
Tout le monde regarde des films sur internet. Le pouvoir d’internet pour diffuser le film est énorme. On devrait l’utiliser, et aussi y penser dès le début de projets. C’est quelque chose que je garde dans ma tête depuis 1 ou 2 ans.

Aimeriez vous tourner un film pour Netflix ?

Oui. En fait ils ont une succursale au japon et j’ai eu l’occasion de rencontrer aux gens de Netflix, japonais et américains, et on a des conversations passionnantes. J’aimerais bien tourner un film pour eux s’il y a une bonne occasion. Et ils font beaucoup de téléséries, n’est-ce pas ? J’ai une seule expérience de faire une télésérie au japon, qui s’appelle « Lucky Seven ». C’était une télésérie typique au japon pour faire passer à l’heure de grande écoute. J’ai bien aimé cette expérience de faire plusieurs épisodes et développer les personnages. Par contre, ce n’est pas exactement ce que Netflix veut en ce moment. Ils veulent des téléséries qui ressemblent aux films, en utilisant autant de budgets que pour faire des films. Ce qu’ils veulent que je fasse est complètement à l’opposé de ce que les producteurs japonais veulent quand je fais des films avec eux. Des gens de Netflix savent ce qui attire les audiences, avec leurs données des recherches quotidiennes. Et ça correspond à ce que je sens aussi. J’ai toujours été considéré comme un hérétique, mais je suis dans la majorité chez eux. Ce que je dis est complètement normal pour des gens de Netflix. Cela m’encourage beaucoup. Comme une option, je considèrerais à faire quelque chose pour distribuer sur internet, même si ce n’est pas pour Netflix.

Est-ce que le tournage de la suite est déjà prévu ?

Je viens de faire un tournage qui a duré environ 2 mois ce printemps. Et je suis venu ici parce que je viens enfin de terminer l’édition. Je vais y ajouter le CG, et le finaliser au janvier prochain. Ce serait au cinéma l’année prochaine.

 

Un grand merci à Lorenzo et aux équipes du Festival Fantasia pour la réalisation de cette interview. Merci aussi au réalisateur d’avoir répondu à nos questions.