Critique : Chungking Express de Wong Kar Wai

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Chungking Express ressort au cinéma en Octobre, déjà disponible en Dvd et en Blu-ray dans le coffret « La révolution Wong Kar Wai » chez Arp sélection. Cette critique a été faite à partir du Blu-ray.

L’histoire : deux flics lâchés par leur petite amie. Le matricule 223, qui se promet de tomber amoureux de la première femme qui entrera dans un bar à Chungking House, où il noie son chagrin. Le matricule 633, qui chaque soir passe au Midnight Express, un fast-food du quartier de Lan Kwai Fong, acheter à la jolie Faye une salade du chef qu’il destine à sa belle, une hôtesse de l’air.

Chungking Express, sorti en 1994, marque la révolution réelle qu’incarne Wong Kar Wai dans le cinéma de Hong-Kong, et qui lui apportera une reconnaissance internationale. Quatrième long-métrage du réalisateur, Chungking express conjugue ce qu’il avait mis en œuvre dans ses premiers films (As tears go by, Nos années sauvages) pour aboutir à une œuvre à la fois somme et réinventée.

Chungking Express brise les conventions de narration du cinéma pour nous proposer deux histoires qui n’ont visiblement rien à voir ensemble, raccordées seulement par un lieu, un plan et un dialogue. Ça commence comme un film noir à travers une histoire de drogue ponctuée d’assassinats pour aboutir à une des histoires d’amour les plus originales du cinéma.

Tel est Chungking Express, une expérience narrative et sensorielle, qui nous fait voyager dans les méandres du quartier de Chungking et nous emmène dîner au Midnight Express.

Le film se compose donc de deux épisodes distincts, qui sont quasiment deux films chacun, la première partie suit un flic interprété par le jeune Takeshi Kaneshiro qui nous conte en voix off sa rupture sentimentale, qu’il essaye de combler tant bien que mal. Il rencontrera une mystérieuse femme blonde incarnée par Brigitte Lin qu’il tentera de séduire. Le personnage de Brigitte Lin navigue entre figure de la drogue, kidnappeuse d’enfant, tueuse, et renvoie à une icône de film noir, très certainement Gloria de John Cassavetes.

Cette partie du film mélange brillamment donc le film noir à la romance poétique. Le personnage de Brigitte Lin étant quasi muet, on ne saisit pas qui elle est vraiment, ce qu’elle fait, pour qui elle travaille, elle est l’incarnation d’une image de cinéma, comme si Wong Kar Wai avait littéralement « samplé » un personnage préexistant pour l’insérer dans son film, sans apporter d’importance à l’histoire, uniquement pour privilégier les sensations et le fantasme, ce qui fonctionne parfaitement.

Le personnage de Takeshi Kaneshiro, à l’inverse, est ancré dans le réel, le réel le plus commun qu’il essaye de transgresser. Largué, mélancolique, il achète des boites d’ananas périmés comme superstition, espérant retrouver sa petite amie May avant le 1er mai.

C’est sa voix off qui amène une dimension intime et poétique à cette partie du film. Il rencontrera la mystérieuse femme blonde dans un bar et tentera de la séduire vainement. Le rôle de Takeshi Kaneshiro renvoie à celui de Faye Wong dans la seconde partie du film. Mais ils se croiseront uniquement, servant de transition aux deux ‘chapitres’.

La deuxième partie de Chungking Express se porte sur un autre flic, interprété par Tony Leung, qui subit lui aussi une rupture sentimentale. En allant s’acheter une salade du chef dans un fast-food, il rencontre Faye, la serveuse, interprétée par Faye Wong. Ce second chapitre du film change totalement de tonalité à l’exception de l’aspect poétique. En effet, le pan « film noir » de la première heure disparaît complètement pour se concentrer sur une histoire d’amour semblant naïve mais qui se révèle remarquablement belle. En outre, Tony Leung est un policier uniquement d’apparence, on ne le verra jamais travailler.

C’est sa voix off qui remplace celle de Takeshi Kaneshiro pour guider la narration et évoquer ses états d’âmes, alors que le personnage qu’on suivra le plus se trouve être celui de Faye.

Cette seconde partie de Chungking Express suit donc le quotidien de la jeune Faye derrière son comptoir de fast-food. Elle tombe amoureuse du beau policier immatriculé 633, et fera tout pour le séduire sans se déclarer, ils vivront une relation par procuration, des plus originales, n’osant pas s’avouer ce qu’ils ressentent l’un pour l’autre.

Chungking Express sans Faye Wong est impensable, tant elle illumine le film par sa présence et sa personnalité. Faye Wong donne l’impression que la caméra est totalement invisible pour elle, avec son naturel déconcertant, elle offre à son personnage une vérité et par la même une empathie hors norme. Si le personnage de Brigitte Lin renvoie à Gena Rowlands dans Gloria, Faye Wong fait irrésistiblement penser à Audrey Hepburn. Avec sa coupe garçonne, et ses grands yeux candides, elle crée un personnage auquel il est impossible d’être insensible.

Faye Wong dansant avec des tubes de ketchup et de moutarde dans un kebab, devient une séquence de cinéma mémorable, la magie du cinéma porte ici bien son nom. Faye est touchante par ses actions, ses maladresses, sa timidité, et sa difficulté à avouer ses sentiments. Il est intéressant de noter que Chungking Express deviendrait le dernier film de Brigitte Lin qui souhaitait alors arrêter sa carrière, quand le même long-métrage allait faire naître Faye Wong comme actrice. Un destin croisé assez unique.

Tony Leung, lui, dégage une sensualité et une classe incroyable résumées par un seul plan : la première fois qu’il arrive au fast-food en enlevant sa casquette, regard face caméra. Cet unique plan suffit à comprendre pourquoi la jeune Faye aura un coup de foudre. Son personnage est touchant, entre désillusion amoureuse pour son ex, et difficulté à exprimer que Faye l’attire. Son personnage sait ce qui se passe mais ne le voit pas, il sait qu’ils s’aiment mais ni l’un ni l’autre n’arrivent à le formaliser.

Le scénario de Wong Kar Wai est habile, intelligent, poétique, nous fait vivre des émotions pleinement, nous fait tomber amoureux de ses personnages et nous transporte dans un Hong-kong fourmillant. La richesse de la mise en scène impressionne toujours, même 20 ans plus tard, pour une simple et bonne raison, elle donne un souffle peu commun au film et apparaît totalement maîtrisée dans son improvisation.

Christopher Doyle réalise une photographie plurielle et inspirée, calibrant parfaitement la première partie au film noir, et la seconde au film romantique. Les premiers plans « flous » et brouillons sont d’une audace folle, apportant ce sentiment de vie bouillonnante au quartier de Chungking, propice à l’histoire de marraine de la drogue. Les effets visuels, nombreux dans le film, sont tous des effets photographiques et soutiennent à chaque fois le propos, comme le ralenti sur Tony Leung accoudé au stand de Faye, quand une multitude de personnes passent autour d’eux en accéléré : ils sont tous les deux dans la même dimension, mais n’arrivent pas à communiquer.

Enfin les choix musicaux de Wong Kar Wai sont tout aussi judicieux, de la musique d’ouverture de Galasso qui plaque une ambiance froide et dramatique aux musiques pop chaleureuses et nostalgiques de la seconde partie. Faye Wong (qui est une méga pop star en Chine) interprète sa version de Dreams des Cranberries, et écoute en boucle California Dreamin des Mamas and Papas. A la vue du film, on ne pourra plus écouter ces chansons sans penser à Chungking Express.

Concernant cette édition bluray du coffret Wong Kar Wai la révolution, le seul bonus réellement intéressant se trouve sur le disque de ce film, on y découvre des scénettes coupées permettant de saisir qu’à la base le scénario prenait une direction bien différente, le personnage de Brigitte Lin étant une comédienne…

Conclusion

Ses différentes atmosphères, ses couples mythiques, son scénario poétique, le souffle de sa mise en scène, sa bande originale pop, Chungking Express est unique en son genre, un film à l’inventivité folle, un uppercut émotionnel qui va vous chambouler, simplement le meilleur de Wong Kar Wai de cette époque.

Chungking Express relève de ces films rares qui à la première vision ne nous donnent qu’une seule envie : les revoir.

Chungking Express de Wong Kar Wai
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La grâce à l'état pur
RIEN
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