Critique : Happy Together de Wong Kar-Wai

Note des lecteurs2 Notes
4.5

Happy Together (Prix de la mise en scène Cannes 1997)  ressort au mois d’octobre 2017 au cinéma, déjà disponible en DVD et Blu-Ray dans le coffret La révolution Wong Kar -Wai chez Arp Sélection. La critique a été effectuée à partir du Blu-ray.

L’histoire : Ho Po-Wing et Lai Yiu-Fai, un couple gay originaire de Hong-Kong, décident de partir à l’aventure en Amérique du Sud. Ils s’aiment, et pourtant ne cessent de se disputer, de rompre, et de se retrouver dans un Buenos Aires nocturne, jusqu’au jour où ils se quitteront peut-être définitivement…

Happy Together, sixième film de Wong Kar-Wai se situe entre Les Anges Déchus et In The Mood For Love. Il marque une transition dans le cinéma du réalisateur hong-kongais, qui achève ainsi une série de films totalement libres de convention, marqués post nouvelle vague, pour se diriger vers un classicisme flamboyant (In The Mood For Love, 2046).

Happy Together est un film sur la passion amoureuse dévorante. Les protagonistes Ho Po-Wing (Leslie Cheung) et Lai Yiu-Fai (Tony Leung) se retrouvent en Argentine, loin de chez eux, pour entreprendre un nouveau départ dans leur relation. Au début, on les voit sur une autoroute, perdus, à la recherche des chutes d’Iguazu, tout de suite on comprend que pour couple fusionnel et passionnel, la route vers les chutes sera longue.

L’intimité du couple montre un Po-Wing insupportable, quand Yiu-Fai, lui, répond à chacun de ses désirs. Un sentiment de vérité se dégage de ces séquences, Wong Kar-Wai décortiquant les troubles de la passion. Parmi les innombrables crises se dégagent des moments de tendresse, fugaces, souvent emplis de pudeur, à travers un échange de cigarette, ou alors quand Po-Wing pose sa tête sur l’épaule de son compagnon dans un taxi. Ces passages saisis à la ‘volée’ suffisent à montrer qu’ils sont peu-être ‘heureux ensemble’…

La seconde partie du film correspond plus, avec l’apparition d’un troisième personnage (Chang Chen), au cinéma habituel de Wong Kar-Wai, on assiste à une errance, à des rendez-vous manqués, à des effleurements, à des sentiments non dévoilés, à la difficulté de communiquer et d’aimer… Aussi plus le film avance, plus les séquences semblent courtes, parfois elles tiennent en un seul plan de quelques de secondes, ce qui donne une impression de temps qui passe, mais aussi parfois de longueurs.

Parmi les séquences les plus inventives et poétiques, Wong Kar-Wai fait se demander à Yiu-Fai à quoi ressemble Hong-Kong à l’envers, car situé de l’autre côte de la terre  ? Alors nous voyons des images de buildings de la ville la tête en bas…une des nombreuses fulgurances du cinéaste dans Happy Together.

A signaler que le regretté Leslie Cheung était à l’époque un des rares acteurs chinois à accepter d’incarner des rôles gay, alors que dans la vie, il cachait son homosexualité. Son personnage torturé renvoie avec le recul, aux tourments qu’il devait affronter à cette période, rendant son rôle plus touchant, et tragique à la fois. Tony Leung demeure lui, comme dans tous les films de Wong Kar-Wai, l’incarnation de la sensualité masculine, que ce soit dans des rôles d’hétéro, ou ici de gay.

La mise en scène survoltée et emprunte de liberté de Happy Together sera la dernière de ce style dans le cinéma de Wong Kar-Wai. Nous retrouvons toute la grammaire cinématographique qu’il a développé jusque là, à savoir caméra portée, grand angle, couleurs chaudes et saturées, avec ici des passages intempestifs au noir et blanc.

Happy Together possède une esthétique saisissante, réussissant à rendre la chambre miteuse de Yui-Fai en un magnifique décor de cinéma, la scène de danse du couple dans la cuisine restera dans les mémoires.

Wong Kar-Wai nous fait voyager à Buenos Aires aussi par la musique, en proposant des compositions du grand Astor Piazolla, mais aussi du rock tango, des morceaux de Frank Zappa, puis des moments plus pop avec une reprise du titre des Turtle Happy Together. Immanquablement une des meilleurs B.o. du réalisateur, à la fois mélancolique et pleine d’énergie.

Pour l’édition Bluray chez Arp sélection du coffret Wong Kar Wai la révolution, le master est restauré, résolution en 1080p 24 i/s, aussi les passages en noir et blanc seront plus granuleux car souhaités comme tels lors du tournage. Le son proposé pour la piste cantonaise est en 5.1 Dts hd master audio.

En bonus, nous avons droit à une leçon de cinéma de Wong Kar-Wai de 30 min au festival de Cannes. Ca avait l’air alléchant, mais malheureusement les propos du cinéaste dure seulement la moitié des 30 min, le reste étant des extraits de film visiblement insérés à posteriori. Au final, on apprendra pas grand chose, et le dispositif est un peu limite.

Même si le film comporte des longueurs, sûrement dû à une improvisation de scénario, Happy Together emportera le spectateur par la justesse de sa description de la passion amoureuse, ici entre deux hommes, sans pour autant être un film gay militant, son sujet reste l’amour uniquement, comme dans tous les films de Wong Kar-Wai. Le metteur en scène a réussit à faire de Buenos Aire son terrain de jeu, à l’égal de Hong-Kong, un pari risqué mais un pari hautement remporté. Happy Together est un film qui a le pouvoir de rendre à la fois mélancolique et heureux.

Happy Together de Wong Kar-Wai
Note des lecteurs2 Notes
La mise en scène
Le trio d’acteur
La musique
La poésie
Quelques longueurs
4.5