Critique : Perfect Blue de Satoshi Kon

Annoncé comme un thriller fantastique et psychologique, Perfect Blue est un film d’animation japonais réalisé par Satoshi Kon (Paprika, Tokyo Godfathers) et sorti en salle pour la première fois en 1999. Mima, jeune « Idole » membre d’un groupe de J-pop, est en pleine reconversion professionnelle dans la perspective de devenir comédienne. Alors qu’elle réussit à dégoter un rôle mineur dans une série télévisée, les fans de Mima, déçus, lui tournent peu à peu le dos et son départ du groupe est particulièrement mal reçu de la part d’un traqueur inconnu qui dévoilera les détails sa vie privée sur Internet et transformera la vie de la jeune femme en un terrible enfer.

Avec sa voix fluette et ses jupes bouffantes courtes, Mima est ce que l’on appelle chez les nippons et les otakus une « Idole »: une jeune femme-artiste d’environ vingt ans, caractérisée généralement par un ensemble de mimiques et d’accoutrements mignons et par des habiletés en danse et en chant. Dans le plus pur des stéréotypes, Mima fait également preuve d’une grande niaiserie et d’une naïveté sans renom. Influençable au plus haut point, elle se laissera couler dans de mauvais choix qui la feront dévier d’un chemin de pensées rationnel et qui la poussent lentement à douter de sa propre conscience. En conséquence, les détracteurs d’Idoles trouveront certainement notre héroïne extrêment agaçante, mais pourront se rassurer avec un scénario bien moins mignon, cruel, intelligent, et cru.

Quand elle accepte sans trop hésiter -voir même pas du tout- de tourner une scène de viol collectif complètement ingrate, on comprend que l’incrédule héroïne est inconsciente des tares du monde qui l’entoure. Le tournage débute, et d’une manière bien trop réelle. Nous, spectateurs, sommes alors envahis d’un violent sentiment malsain, et d’un choc profondément perturbant et troublant. Les effets de styles n’aident pas à calmer notre effroi : Les cris sont sadiquement mis en avant, et la scène de viol est constamment interrompue par la voix du réalisateur qui nous ramène à la réalité pour nous replonger quelques secondes plus tard dans la même spirale infernale. Probablement la scène la plus marquante du film pour sa noirceur et sa construction.

Mima finira finalement par dérailler lentement, entamant peu à peu le chemin d’une longue série d’hallucinations et de crises nerveuses, entre paranoïa et schizophrénie. Parallèlement, son apparence si douce et innocente marquera un paradoxe avec la vague de décadence qui la submerge. Ses hallucinations la feront voir son double du passé, toujours Idole et heureuse, bien loin de ce qu’elle devient. L’héroïne semble tout droit sortie de Black Swan, et on commence sérieusement à douter de sa santé mentale.

Les graphismes du film sont étonnants; Certains plans choisissent de montrer une foule sans visages, sans traits définis, tandis que d’autres zooment sur des détails faciaux surprenants, lorsque par exemple le visage crevassé de l’harceleur mystérieux de Mima affublé de yeux globuleux et écartés nous est exhibé, dévoilant une expression tout aussi terrifiante que dégoûtante. Parfois, il arrive qu’on ne discerne même pas les pupilles de ses yeux, et la sensation tirée n’en est que plus morbide et intrigante.

Il faut préciser que ce personnage est le stéréotype même du “stalker” complètement cinglé, abruti et obsédé; pour preuve, il sait même quel pied Mima pose en en premier sur le sol quand elle descend de son train… Et quand les meurtres se multiplient dans l’entourage de la jeune comédienne en devenir, on n’a que très peu de doutes quant à la culpabilité du mystérieux inconnu qui passe ses journées dans le noir à écrire sur le quotidien de sa célébrité préféré et à entamer des conversations imaginaires avec elle.

Perfect Blue illustre l’Industrie du showbiz dans sa plus grande noirceur et dénonce les manipulations, l’instrumentalisation, les dommages du star-système, l’otakisme nocif, et la sexualisation subis par les esprits naïfs qui se laissent happer par les fantasmes de notoriété et de reconnaissance.

La presse, pièce essentielle du monde de la célébrité, n’est pas laissé de côté et est reflétée par un voyeurisme limite obscène et destructeur dans l’optique de nourrir un intérêt public injustifié.

Le film réussit avec succès son rôle de thriller psychologique et cérébral : entre les hallucinations de Mima, son nouveau rôle télévisé de Serial Killeuse qui est étrangement transposable à sa vie quotidienne, les meurtres qui l’entourent, et les conversations imaginaires entre le stalker et l’Idole, nous sommes nous-mêmes pris de doutes et d’interrogations constantes. Digne d’un véritable « inception », le réalisateur joue généreusement avec la réalité et les illusions, nous perdant dans une spirale infernale entre le réel et le faux, tous deux emboîtés à la manière des poupées russes.

Comme pour se jouer de nous, des effets de rythmes et d’accélérations entre chaque transitions viennent nous perturber d’autant plus, chevauchant entre conscient et inconscient, rendant le suspense de plus en plus insoutenable.

Finalement, le génie du film, c’est sa construction; Entre multiples dénouements, rêves, et transitions inattendues, on ne peut que saluer la maîtrise de l’oeuvre. Loin d’être bâclée, la fin, tout aussi magnifiquement orchestrée que le reste du film, ouvre à la réflexion et aux interprétations diverses. Perfect Blue, social, sanglant et réflexif, est le genre de film qui vous fera cogiter pendant, et après l’avoir vu.

Le film vient de ressortir en DVD, Blu-Ray et édition collector limitée.

Perfect Blue de Satoshi Kon
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