Cannes 2017 – Critique : Okja de Bong Joon-ho

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4 ans après le singulier SnowpiercerBong Joon-ho nous propose cette fois une œuvre originale entre la fable écologique, la satire politique et le récit initiatique voire un film de monstre. Une œuvre qui semble contenir l’essence thématique et esthétique de son auteur et bien plus encore.

Okja, c’est le nom de l’animal génétiquement modifié dont s’occupe la Mija depuis son enfance. Cette dernière vie avec son grand-père dans les montagnes coréennes, elle mène une existence paisible et simple. Un groupe industriel à l’origine de la création de l’animal veut le récupérer. La jeune fille part à sa recherche, tout comme un groupe d’activistes qui luttent pour la cause animale. C’est ainsi que Okja nous invite dans son univers, à travers une galerie de personnages dont les intérêts divergent et varient avant de se confronter ou s’allier. Le cinéaste coréen prend le temps de nous présenter son héroïne et Okja,le rythme est presque contemplatif tant il s’applique à nous offrir une vision paradisiaque voire « Miyazakienne » (On a presque l’impression de regarder un animé devant les mouvements des deux corps) du quotidien des deux protagonistes. C’est justement dans le traitement des situations à travers des changements de rythme et de ton que Okja nous confirme la virtuosité de son auteur. On passe de moments burlesques à des situations critiques par la puissance du montage voire des fois par de simples ralentis. Mais surtout par l’utilisation pertinente de la musique qui accompagne le spectateur à travers un spectre d’émotions complexes, mais bien palpables qui résonnent avec les luttes que mènent les personnages. Okja est également un modèle de direction d’acteurs. Au-delà d’un jeu physique qui serait récurrent dans le cinéma coréen, il y a un énorme travail sur les interactions et les corps dans le cadre. Ce travail se retrouve dans les relations des personnages avec Okja. On caresse l’animal, on le frappe, on le suit. Ces choix nous offrent des situations d’une grande intensité et d’une grande beauté. On pense à Spielberg ou Del Toro, mais également à The Host dont le film semble suivre la réflexion sur la famille, la société et la volonté.

La dimension spectaculaire du film qui contraste son discours incisif s’exprime par une vision intime de l’action. On accompagne les personnages dans leur quête, mais on souffre également avec eux. Le cinéaste nous plonge dans l’action par sa maîtrise des échelles. Les visages en gros plan nous parle autant que les milliers d’animaux enfermés dans un plan large qui semble avoir une profondeur infinie. Métaphore du vertige qu’est la perte de l’innocence. La maîtrise formelle de Bong Joon-ho nous offre un balai de sensations et d’émotions dont les 20 dernières minutes en révèlent la puissance. Le cinéaste évoque les grands films de monstres (autant King Kong que L’Histoire sans fin. Peut-être même des références à l’œuvre de Ueda Fumito) pour dévoiler la monstruosité abstraite et industrielle des hommes. Bong Joon-ho signe alors une œuvre extrêmement engagée, du moins à la hauteur de l’horreur qu’il dénonce . C’est un film presque vegan et animiste, cela pourrait échapper au cynisme ambiant, mais la maestria qui a précédé ces scènes d’horreur nous implique à au point de nous questionner, à notre insu sur notre place dans ce système. Le mélange des genres prend alors tout son sens. Comme l’héroïne nous revenons alors à notre point de départ, à cette vie rêvée que nous offre le cinéma,comme l’héroïne dans son ultime scène avec Okja nous savons que quelque chose à changer. Nous pouvons l’entendre.

Bong Joon-ho nous offre l’une des œuvres les plus puissantes de la sélection pour l’instant, et on espère que « l’affaire Netflix » n’aura pas de valeur dans le jugement du film à l’aune d’une telle proposition de cinéma.

Okja de Bong Joon-ho
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