Critique : Les Chiens errants de Tsai Ming-liang

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3.5

L’histoire : Hsiao Kang est homme-sandwich dans les rues de Taipei. Ironie cruelle que de faire la publicité de luxueux complexes immobiliers pour cet homme sans toit qui survit avec ses deux enfants dans des ruines de béton.

Tsai Ming-Liang a reçu récemment les honneurs lors de sa venue en France, le prix honorifique Henri Langlois lui a été décerné, après son hommage lors du Festival asiatique de Deauville, et sa rétrospective actuellement à la cinémathèque de Paris.

Les Chiens errants, son dernier film a été projeté en avant-première à la cinémathèque le 12 mars, en sa présence.

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Le film dépeint le quotidien précaire d’un père de famille (Lee Kang-Shen) avec ses deux jeunes enfants. Lui est homme sandwich à un carrefour, pendant que ses enfants errent dans les supermarchés à la recherche d’échantillons de nourriture… Avec cette histoire, l’appréhension était d’être face à un film ambitionnant de faire pleurer à tout prix (qu’aurait fait Lars Von Trier d’un tel sujet ?), heureusement ici il n’en est rien. Tsai Ming-Liang réussit un conte moderne, où la description de la pauvreté est un état de fait, mais où l’amour et les relations humaines emportent sur le pathétique. Les enfants ne sont pas misérables ni tristes de leur condition, c’est une forme de normalité, les plus belles séquences sont d’ailleurs portés par ces derniers.

Un autre personnage apparaît dans le film, celui d’une femme qui travaille dans le supermarché où errent les enfants. Elle se prend d’affection pour la petite fille, et essayera d’améliorer le quotidien de la famille. C’est un personnage assez intriguant, renvoyant forcément l’image de la mère qu’il manque aux enfants, et de la femme qu’il manque au père. Tsai Ming-Liang a décidé de faire interpréter ce rôle par trois comédiennes différentes le long du film, ce qui a pour effet de perdre le spectateur, mais qui reste une belle intention poétique. L’acteur Lee Kang-Shen, pilier centrale de la cinématographie de Tsai Ming-Liang dégage toujours autant d’humanité, et porte avec justesse et mystère (car peu de dialogues) ce rôle de père antihéros. Tsai Ming-Liang ne contemple pas des paysages mais bien le corps et le visage de Lee Kang Shen, qui constitue du coup sa matière première. Cette relation ne cesse de se renouveler au fil des années (voire décennies), et se révèle une des relations les plus intéressantes et atypiques concernant un auteur et son acteur fétiche.

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Les qualités du film résident dans la poésie propre au cinéma du metteur en scène taïwanais : avec pas grand chose, il arrive à créer des séquences mémorables. Ici ce sera entre autre celle d’un chou chinois maquillé en femme par les deux enfants.
En revanche Les Chiens errants a le défaut de ses qualités, Tsai Ming-Liang pousse son travail de la temporalité ‘réelle’ à son paroxysme, certains plans fixes font jusqu’à dix minutes. Le film en entier doit comporter une trentaine de plans, ce qui donne un rythme excessivement lent, surtout en dernière partie de film, ce qui risquera d’ennuyer le spectateur.

Tsai Ming-Liang présent pour l’avant première a abordé essentiellement la temporalité dans son œuvre, on se rend alors compte que cela n’est pas seulement une recherche narrative et cinématographique pour lui, mais bien une philosophie de vie et de pensée. Il a par ailleurs invité le public à prendre le temps de contempler la lune, en indiquant que seuls ceux qui étaient capable de le faire pouvaient comprendre ses films… D’une certaine façon, c’est assez vrai, et cela se peut se ressentir à travers son œuvre.

Cependant on se permet de penser que parfois, il peut passer à côté d’un très grand film en poussant sa gestion du temps très (trop ?) loin, ici tel est peut-être le cas…

Reste que le film possède de très beaux passages et que Tsai Ming-Liang est un des cinéastes contemporains les plus audacieux. Les chiens errants est donc un film à découvrir, tout en s’armant un peu de patience.