Critique : Why don’t you play in hell de Sono Sion

Why don't you play in hell de Sono Sion
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Ca n’était pas très compliqué à accomplir, mais Why Don’t You Play in Hell est le Sono Sion le plus rigolo depuis Love Exposure. Cinq ans qu’on ne s’était pas poilés avec notre asiatique lubrique favori, mais l’attente en valait la peine : passée la dépression post-Fukushima, son nouveau-né est une bonne grosse tuerie qui laisse presque tous ses personnages pour morts, et presque tous ses spectateurs pour morts de rire. On sent Sono à l’aise, décontracté du gland, presque en vacances sur le fond quoique toujours rigoureux sur l’esthétique – c’est aussi pour sa rigueur formelle qu’on l’aime, après tout.

C’est que, pour changer, le vrai thème de fond de Why Don’t You Play in Hell n’est pas les malaises de la société japonaise, mais plutôt l’amour du cinéma, ce qui constitue un angle un peu plus positif que ceux qui ont fait la réputation du réalisateur. Bien sûr, il nous sert également un peu de l’inévitable conflit générationnel qui lui est si cher, mais celui-ci est traité avec un excès tel qu’on ne peut/doit pas réellement le prendre au sérieux. Qu’ils soient yakuzas attardés ou post-adolescents pas si post, les personnages de Why Don’t You Play in Hell ont pour point commun de n’exister que pour le bien du gag, et à moins que vous ne soyez vraiment un cœur d’artichaut, aucun ne vous émouvra jamais vraiment. Libre à vous d’y voir une limite, mais ça n’en est pas moins une force colossale pour la comédie, étant donné que le détachement émotionnel permet à Sono de déployer sans vergogne et sans le moindre scrupule un humour noir au gore potache.

Why Don’t You Play in Hell semble chercher la comparaison avec le cinéma de Quentin Tarantino. L’amour de ses yakuzas pour les armes blanches et le caractère tout traditionnel de leur repaire rappelle Kill Bill, tandis que la présence parmi les protagonistes d’une actrice et l’utilisation du tournage d’un film dans l’intrigue pourront constituer des parallèles avec Inglourious Basterds – dans l’un comme dans l’autre, d’ailleurs, cinéma et massacre se trouvent intimement liés : celui qui vit par la pellicule périra par la pellicule. Mais, au final, et de manière un peu moins évidente peut-être, Why Don’t You Play in Hell se rapproche surtout de Pulp Fiction dans son ton cartoonesque et son détachement amusé vis-à-vis de sa propre violence. Dans le dernier segment du film, fendard au possible, Sono Sion s’envole comme une torpille psychotique dans les cimes hystériques d’une vertigineuse escalade d’excès ; à chaque nouvelle trouvaille permettant de faire gicler la tripaille, on se dit qu’il est impossible de faire mieux/pire, uniquement pour s’en prendre une nouvelle pelletée dans la gueule aussi sec.

Tout ça est fascinant, happant, magnétique, et ne manquera pas d’en appeler certains au culte. Ca tombe bien, parce que l’adoration idolâtre est au cœur des mécaniques qui font avancer le film : adoration d’un yakuza pour une gamine qui a changé sa vie, adoration d’un mari pour sa femme martyr, adoration d’une starlette pour sa propre personne, d’un clampin lambda pour la starlette… Adoration, enfin, d’un réalisateur de cœur prêt à tout sacrifier, y compris sa morale et sa rationalité, pour avoir l’occasion de faire quelques bons plans – ce qui est particulièrement convaincant raconté par un type comme Sono Sion. Un type complètement fou et peut-être même dangereux dès qu’on lui fourre une caméra entre les pattes, mais un type qui sait comment les images peuvent nous mener à la jouissance ; si Why Don’t You Play in Hell est aussi drôle, aussi bon et aussi frais, c’est avant parce que rien n’y est sérieux, sauf la volonté féroce de son auteur de nous divertir sans coup férir.