Critique : Stoker de Park Chan Wook

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4.5

Le premier film tourné aux États-Unis par le réalisateur sud-corréen Park Chan Wook aurait pu, à l’instar du Dernier rempart de son compatriote Kim Jee Woon, être un complet ratage en bonne et due forme, mais heureusement il n’en est rien. Le réalisateur de Old Boy remporte ici son pari : réaliser un film hollywoodien tout en gardant la sève de son savoir-faire original : un cinéma dérangeant.

Dès le générique, énigmatique à souhait, montrant une femme « fatale » par fragments (chevelure au vent, robe, regard…), Park Chan Wook nous plonge dans un univers à tiroirs et tisse sa toile.

L’histoire : Richard Stoker meurt dans un accident de la route, son frère Charlie (Matthew Goode) débarque alors d’Europe et s’installe dans la maison familiale avec la femme de Richard, Evie (Nicole Kidman), et sa nièce India (Mia Wasikowska, vue dans Alice au pays des merveilles de Tim Burton). L’adolescente au comportement étrange se méfie de Charlie qui semble vouloir séduire sa mère. Un jeu trouble s’installe alors entre India et Charlie…

A partir de ce postulat, Park Chan Wook crée un film et un univers hors du temps. En effet, rien ne semble moderne chez les Stoker, pourtant l’action se déroule bien aujourd’hui, ce qui renforce l’étrangeté.

Dans ce monde dépassé, le réalisateur nous place du point de vue d’India, jeune fille intrigante qui collectionne les paires de chaussures, qu’elle reçoit en cadeaux de son père depuis son plus jeune âge, souliers étonnamment toujours du même modèle de petite fille. India est pourtant adolescente. Renfermée, secrète, elle voit d’un mauvais œil cet oncle trop parfait s’installer dans les « chaussures » de son père. Charlie est beau, cultivé, voyage en Europe et connaît le français : difficile de résister à sa séduction. Le personnage doit beaucoup à l’interprétation de Matthew Goode qui est la révélation du film.

Evie, la mère, se laisse enivrer par le sourire de ce beau-frère qu’elle n’avait jamais rencontré jusque-là. India, elle, résiste, comme elle résiste à l’adolescence, et au fait de devenir une femme.

Très rapidement l’intrigue tourne autour de cet oncle Charlie : qui est-il réellement ? India mène l’enquête, et plonge dans la nuit, à la recherche de la vérité et peut-être aussi de son identité…

La partition de Mia Wasikowska est particulièrement intéressante, donnant envie de la voir plus souvent au cinéma.

La mise en scène est magistrale, chaque plan semble inspiré. Le point d’orgue se trouvant dans une séquence nocturne en forêt tout à fait glaçante, la photo étant signée Chung-Hoon Chung, le directeur photo collaborant avec Park Chan Wook depuis Old boy. Le montage également très ingénieux sert efficacement la manipulation de l’intrigue. Stoker, de par son ambiance pesante et désuète (la danse entre Evie et Charlie sur fond de Lee Hazelwood et Nancy Sinatra), nous plonge dans un univers à la fois féérique et macabre. Park Chan Wook a déployé tout son talent pour créer une expérience des plus originales dans un système hollywoodien devenu aujourd’hui trop policé.

La référence à Hitchcock est évidente, mais le scénario malin signé Wentworth Miller rend hommage au maître du suspens sans pour autant verser dans le pastiche.

Stoker est un film effroyablement réjouissant.