Interview : Johnnie To pour Life Without Principle

Cette année, Paris Cinéma mettait à l’honneur le cinéma de Hong-Kong par le biais d’une sélection éclectique, forcément imparfaite mais finalement assez réjouissante comportant aussi bien du wu xia pan que de la romance ou du film de flingues. Histoire de couronner le tout, le Festival est même parvenu à nous décrocher une belle petite avant-première de Life Without Principle, le dernier Johnnie To, et même à faire déplacer le réalisateur jusque dans la capitale, où nous avons eu la chance de l’interviewer.

Pour ne rien vous cacher, cette journée d’entretiens fut, de l’avis général, extrêmement chaotiques. Si nous nous sommes retrouvés avec deux fois moins de temps que prévu pour discuter avec le réalisateur, d’autres rédactions moins chanceuses ont vu leur entretien purement et simplement annulé le jour même. Ajoutez à cela un Johnnie To au débit de parole lent et un traducteur au débit de parole lent, et vous comprendrez pourquoi on se retrouve avec une interview qui se lit vite.

Johnnie To, le maître du mouvement et du son, des tragédies de poudrières et de la fumée qui fait pleurer, l’homme qui reprend le flambeau de John Woo là où il l’a laissé mais qui est tout sauf un nouveau John Woo, est sûrement l’un des plus grands réalisateurs hong-kongais aujourd’hui en activité. Pourtant, planqué derrière ses lunettes noires et derrière la protection verbale d’un interprète (dont il n’aurait en fait même pas besoin puisque, paraît-il, il parle anglais), il est impossible d’établir le moindre contact humain avec lui.

Avoir la chance d’interviewer Johnnie To, puis devoir le quitter au bout de cinq petites questions avec l’impression cruelle de repartir bredouille, c’est pour un fan une assez bonne définition de la frustration. Voilà tout de même ce que nous avons réussi à tirer de lui.

Est-ce que vous considérez que le monde de la finance représente les nouvelles triades ?

Les financiers sont pires que les membres des triades : ce sont des bandits, des pirates et, contrairement aux gangs, ils agissent au grand jour. Ils abusent du pouvoir et personne, pour le moment, n’arrive à les renverser parce qu’ils ont de l’argent, une armée d’avocats et des connexions dans le monde politique. Et depuis la crise de 2008, personne n’est parvenu à changer cette situation, y compris le gouvernement américain, alors d’ici une dizaine d’années, sûrement, tout ça va se produire à nouveau.

Life Without Principle est votre premier film à traiter de manière aussi frontale un sujet d’actualité. Est-ce que c’est une voie que vous souhaitez poursuivre ?

Je n’ai pas de plan établi, tout est une affaire d’inspiration, il faut juste que le sujet me parle.

Vous avez déjà laissé entendre que vous comptiez abandonner le film de flingues, et cette perspective nous terrifie…

Juste après Vengeance, j’ai eu l’impression d’un trop-plein dans ma filmographie. Alors, à la fois en tant que réalisateur et aussi pour ne pas que mon public se lasse, j’ai décidé de faire une pause, de me remettre en question, et c’est dans ce contexte qu’est né Life Without Principle. Mais Je suis toujours passionné de cinéma d’action, et je compte y revenir à l’avenir, peut-être en changeant mon point de vue et ma façon de tourner.

Au même titre que votre sens de l’esthétique visuelle, les BO de vos films semblent être une composante essentielle de votre style. Considérez-vous que la musique occupe une place importante dans votre cinéma ?

Oui, elle joue un rôle primordial dans mon processus créatif. Avant de commencer à écrire quoi que ce soit, j’écoute de la musique, et c’est ce qui me sert d’inspiration pour mes scénarios. Ensuite, une fois que le film est tourné, je recrute le compositeur et je l’aiguille pour qu’il soit le plus proche de ce que j’avais en tête. Dans Life Without Principle, il n’y a qu’une seule séquence où on entend vraiment de la musique, et il était donc très important que celle-ci reflète l’ambiance du film.

Chaque fois qu’on voit une femme dans vos films, elle est amoureuse, enceinte ou otage… Est-ce que vous vous sentiriez capable de donner des rôles forts à des femmes, à l’avenir ?

J’ai tout de même fait Heroic Trio, un film d’action avec des femmes ! Mais si je préfère tourner avec des hommes, ce n’est par misogynie, mais parce que mes grands thèmes, comme le sens de l’honneur, sont masculins. De manière générale, je ne fais que suivre mon inspiration, et c’est quelque chose qu’il ne faut pas forcer. On peut faire de très bons films d’action avec des femmes, comme Nikita, et je rêverais d’en faire un un jour, mais pour le moment je n’ai pas l’impression d’être dans cette disposition.

Photo : Tiziana Fabi