Critique : TATSUMI d’Eric Khoo

TATSUMI
TATSUMI

Visiblement inspiré par le passage de l’œuvre de Marjane Satrapi du papier à l’écran, le cinéaste Singapourien Eric Khoo a tenté la même opération avec Une Vie dans les Marges, l’autobiographie dessinée de Yoshihiro Tatsumi, figure tutélaire du manga des années 50 et 60.

Tatsumi est l’un des quelques mangaka a avoir repoussé les limites narratives de son art pour lui faire quitter les rayons de littérature enfantine un peu simpliste et lui donner plus d’ampleur. Plus violentes, plus réalistes, plus adultes, plus sombres, glauques souvent, tragiques parfois, ces histoires ont participé à la création d’un style nouveau, le gekiga (littéralement «  images tragiques »), dont les codes et la noirceur font à présent partie intégrante de la plupart des créations pour adultes (seinen).

À cette époque donc, Tezuka débutait et était encore accessible, on pouvait se faire publier dans les magazines sans trop de difficultés, et malgré les conditions de vie difficile de l’après-guerre la création artistique était en ébullition. Pourtant, bien que figurant dans ce contexte historique passionnant, la vie du mangaka retranscrite par Eric Khoo n’est pas aussi romanesque et émouvante que celle de l’héroïne de Persepolis, et le réalisateur a heureusement choisi d’intercaler 5 histoires courtes de l’auteur, à la partie purement biographique. Ou peut-être est-ce l’inverse au fond ?

Très caractéristiques de l’œuvre de Tatsumi, et reprenant même directement quelques cases originales, chacune de ces nouvelles risque de vous hanter quelques temps ; qu’il s’agisse de cruauté bestiale dans Monkey Boy, de l’horreur de la bombe A dans Hell, de prostitution incestueuse dans Good-Bye, ou de bien autres joyeusetés, c’est la faiblesse et les aspects les plus abjects de l’âme humaine qui sont mis en avant.

Moins puissant que les mangas d’origine sans pour autant en trahir l’essence, notamment grâce à un character design fidèle, comme tracé au pinceau et colorisé à l’aquarelle, TATSUMI est un ovni animé mi-docu mi-fiction décevant. On est en effet bien loin de l’excellence des segments croisés de Be With Me (2005) et plutôt du côté fauché de My Magic(2008). Techniquement très loin des films d’animations actuels au vu de son budget limité —l’animation a été entièrement réalisée en Indonésie— le film, parfois décoré d’effets de lumière de bien mauvais goût, est très statique. L’hommage au 9ème art et à l’œuvre du maître trop appuyé se transforme rapidement en copier/coller de ses compositions, et le réalisateur n’y apporte ni vision personnelle, ni mise en scène, malgré quelques fulgurances.
Si l’intention est louable et la démarche sincère, on préférera tout de même lire les mangas originaux, tous traduits et disponibles en France.

Film visionné lors du TIFF 2011