Critique: Aruongaku – A Music de Takashi Tomohisa

Comme vous le savez (ou pas), en ce moment on est en plein festival de Kinotayo. A cette occasion, jeudi dernier, on projetait à la Maison de la culture du Japon à Paris Aruongaku – A Music, un film sur Takagi Masakatsu, le fameux artiste contemporain*. Comme les organisateurs du Kinotayo ne font pas les choses à moitié, il était là en personne pour nous offrir un mini-concert au piano et nous toucher 2 mots du film. C’était en tout cas une bonne idée de faire jouer l’artiste devant nous avant que le film qui lui est consacré soit projeté. On découvre le personnage avant d’en découvrir plus sur lui, c’est cohérent. Et c’est surtout nécessaire, vu que Takagi n’est pas juste un musicien qui joue d’un instrument et chante pour faire danser les gens et passer à la radio. Il se place dans une autre catégorie musicale.

Ca se passe comme ça : il se pointe dans la salle, très élégant dans une grande chemise blanche et une longue jupe rouge, et s’assoit à son piano. Le noir se fait, il caresse doucement les touches, comme s’il n’osait pas appuyer dessus. L’instant est solennel, tout le monde retient son souffle, on sent que quelque chose de grand va se passer. D’un coup, des images apparaissent sur l’écran. Des couleurs, du mouvement, de la lumière, tout tourne… on est quelque part à mi-chemin entre la séance d’hypnose de série Z et la visionneuse du lecteur multimédia de Windows. Vous avouerez qu’on fait mieux, comme références.

Le concept des performances de Takagi semble être tout entier dans cette veine-là : pendant qu’il fait de la musique, seul ou avec son groupe, des vidéos plus ou moins abstraites ou figuratives sont projetées en arrière-plan, dans l’idée vaguement avant-gardiste de créer un tout cohérent, pour allier le plaisir des yeux à celui des oreilles, ou pourquoi pas tenter de parvenir à trouver une nouvelle forme d’expression. Les morceaux comme les vidéos se suivent mais ne se ressemblent pas : on a du travail à la peinture, du CGI, quelques instants de vie immortalisés avec une caméra puis retouchés à l’extrême ; Takagi s’agite sur son piano, nous la joue plus langoureuse ou pousse la chansonnette, l’ensemble de la performance nous plonge dans une transe comateuse dont on ne sait si elle est causée par des messages subliminaux cachés entre les images ou par les sommets de perplexité qu’on atteint à chaque instant. Il se passe clairement quelque chose, quelque chose d’intriguant, mais il est réellement difficile de dire de quoi il s’agit et, surtout, si on est réceptif ou non.

La soirée est placée sous le signe de l’étrange, et cette sensation s’accentue encore plus quand Takagi se retire en plein milieu de son concert pour nous laisser regarder une vidéo qui a mis plus d’un spectateur mal à l’aise, dans laquelle des lumières liquides de couleur crades bougeaient, s’entrechoquaient et se mélangeait les unes aux autres, formant parfois des objets, des visages ou des scènes, pour imploser aussitôt dans un tourbillon de géométrie absconse. En bande-sonore, des rires d’enfants accompagnent un fœtus immobile qui perd 3 fois sa peau pour devenir une tulipe. Il y avait de quoi être perplexe, non ?

Une fois le concert terminé, Takagi salue son public. Après la bizarrerie de ce qui vient de se dérouler, un geste si conventionnel parait presque déplacé, mais le public applaudi quand même. Les amateurs de cinéma japonais sont des gens polis et ouverts.

Le moins qu’on puisse dire, en tout cas, c’est que ce concert nous aura ouvert l’appétit. Maintenant qu’on vient de se retrouver en territoire inconnu pendant 3 quarts d’heure, on est en droit de s’attendre à ce que le film qui va suivre nous donne quelques clefs. C’est quoi, exactement, la démarche de Takagi ? Comment il fait ses vidéos ? Et ses musiciens, ils en pensent quoi ? Comment il est perçu par les autres ? Après tout, un documentaire, c’est supposé répondre à ce genre de choses.

Sauf qu’Aruongaku est une arnaque. On y voit Takagi répéter avec ses musiciens, jouer de quelques instruments étranges, et se produire sur scène. On voit des longs plans sur la rosée matinale formant des gouttes sur des brins d’herbe, on voit la mer, le ciel, un lac. Le réalisateur filme Takagi en train de ramasser des cailloux, de caresser un tronc d’arbre ou d’être immobile, tout simplement. Sur les 73 minutes que dure le film, on doit avoir droit à environ 5 minutes d’interview pendant lesquelles il parle de sa musique, de lui, et de sa démarche artistique. 5 minutes de contenu diluées dans plus d’une heure de vide, ça fait léger. Et on n’a d’autant plus le droit d’être désappointés que ces quelques bribes sont plutôt intéressantes. Le reste, on s’en fout un peu : c’est pompeux, intello, faussement arty et trop exagérément expérimental pour être franc. Quelques moments musicaux qui valent le coup d’être sauvés, mais le dosage des séquences est si catastrophique qu’il noie les bons instants dans la vacuité du reste.

Takagi Masakatsu est un type intrigant et intéressant, quelqu’un qui a des choses à dire et qui semble déterminé à trouver des manières non-conventionnelles de s’exprimer. C’est un artiste qui mérite qu’on s’intéresse à lui et qu’on réfléchisse sur son œuvre ; en revanche, Aruongaku – A Music est un mauvais film, qui veut être beaucoup de choses mais qui au final n’est rien du tout. Il est prétentieux, faussement arty, et au final complètement vain, à 5 minutes près ; plutôt que d’apporter des réponses ou de proposer une réflexion intéressante sur un sujet qui méritait d’être creusé, il ne fait qu’engendrer la frustration en tentant d’aborder une posture faussement élitiste. C’est pompeux, et totalement indigne de votre intérêt. Allez voir ailleurs, vous vous en porterez d’autant mieux.

*je déconne, moi non plus je n’en avais jamais entendu parler jusqu’à jeudi dernier.