Critique: Lady SnowBlood de Toshiya Fujita

En règle générale, il n’y a pas grand-chose de particulier à attendre d’un film de vengeance. Le genre est assez libre et simpliste, on peut a priori en faire ce qu’on veut, tant qu’on respecte sa codification minimaliste : un affront doit être lavé dans le sang. Dans les années 70, le genre était florissant, et l’hémoglobine coulait à flots ; on peut alors se demander comment et pourquoi Lady Snowblood a réussi à passer à la postérité.

Le fait qu’il soit adapté d’un manga lui donne immédiatement une certaine crédibilité : on se dit que même si le film a été fait à la va-vite, le matériau originel doit être solide. D’ailleurs le manga en question résiste plutôt bien au passage du temps, puisqu’il est encore régulièrement réédité, et que vous le trouverez assez facilement. Son actrice principale peut également être une source d’attraction, puisqu’elle est également l’interprète de la Femme Scorpion, franchise culte des années 70. Surtout, depuis 2004, Lady Snowblood a connu un regain d’intérêt considérable avec la sortie de Kill Bill, qui lui emprunte une partie de son histoire, un morceau de sa BO et même une de ses répliques. C’est un peu comme si Quentin Tarantino l’avait explicitement pointé du doigt en nous criant de courir le regarder. Tarantino étant un type plutôt influent (et plutôt célèbre), on ne s’étonnera donc pas que la plupart des gens qui vous parleront de Lady Snowblood aujourd’hui y sont arrivés en passant par la case Kill Bill. Moi compris. Mais le film en lui-même est-il réellement à la hauteur de son statut et l’aura culte qui l’entoure ? Ca reste à voir.

L’aspect le plus intéressant de Lady Snowblood, c’est sûrement qu’il a pour point de départ une variation du schéma traditionnel de la quête vengeresse, puisque la revanche s’effectue ici par procuration. Une femme est violée, son mari et son fils sont tuées, mais, coincée en prison, elle est dans l’incapacité de régler ses comptes par elle-même. Etant dans l’incapacité de faire un bébé toute seule, elle se tape tous les gardiens de la prison dans l’unique but de tomber enceinte et de pondre un enfant qui accomplira sa tâche. Cet enfant, c’est Yuki, une petite fille née dans la haine, conçue sans amour, destinée à vivre dans l’ombre des désirs de sa mère ; à peine née, elle est déjà condamnée à ne pas pouvoir suivre la voie qu’elle aura choisie. Là où ça se complique, c’est que cette mère inhumaine meurt en la mettant au monde, tout en prenant le soin de donner des instructions quant à son éducation. Yuki passe dons près de 20 ans à s’entraîner dans le seul but de venger des gens qu’elle n’a jamais connu.

On avait là les bases d’une histoire géniale qui, plus qu’un simple parcours sanglant jonché de cadavres, laissait la place à un grand drame psychologique, tant la situation de Yuki est tragique. Seulement, c’est là que le film s’effondre. Malgré tout le potentiel contenu dans ce concept de base, Yuki est un personnage désespérément creux. On ne la voit jamais s’interroger sur l’utilité réelle de sa quête, elle ne regrette jamais de ne pas avoir de vie, elle ne se pose jamais de question sur son implication dans une histoire vieille de 20 ans à laquelle elle n’a pas à être mêlée. Pire : son statut de femme-objet, créé non pas pour exister mais pour perpétrer l’existence d’une autre, n’est jamais abordé. Yuki est vide, impassible, elle avance et elle tranche, et c’est à peu près tout. Même le Terminator avait l’air plus humain. L’inhumanité des figures vengeresses peut être acceptée (et justifiée) dans le cas où elles ont été les victimes des crimes commis, mais les fondations de Lady Snowblood sont trop complexes pour qu’on puisse se contenter de si peu.

Lady Snowblood est donc un enchaînement perpétuel de traque et de combats vaguement justifiés par un scénario aux rouages poussifs. Beaucoup de choses ne sont pas justifiées, les coïncidences fortuites sont trop fréquentes pour être excusées, et le troisième mouvement du film, qui se décentre du personnage principal, tombe vraiment comme un cheveu sur la soupe. Pour en profiter un minimum, il faut le regarder sans s’autoriser à être critique.

Au bout du compte, Lady Snowblood n’est pas un navet, c’est une déception. De bonnes idées y sont lamentablement gaspillées au profit d’une frénésie trop absurde pour être jouissive, et la caméra du réalisateur Toshiya Fujita (dont l’histoire ne s’est pas souvenue) hésite trop entre l’audace et l’incertitude pour qu’on puisse lui trouver des qualités artistiques formelles, en dépit de quelques plans intéressants. Si vous le regardez, ne vous attendez donc pas à un grand classique, mais plutôt à une série B de bon niveau.